Sur les scories d’une mentalité autre qu’athée

C’était « l’autre jour ». Il entre dans ma chambre, il commence à me parler sur je ne sais quoi, dont je me fous, il fait défiler devant moi des pans entiers de la merde qu’il a dans la tête. Lui, c’est mon voisin ; je n’ai rien contre la cohabitation, mais un peu une dent contre la pollution des esprits irrationnels sur les esprits rationnels ; contre les faussetés de l’opinion, et de ce type de « rationnel » qui se cache maladroitement sous les dehors de la conscience réfléchie et des méthodes d’administration de la preuve, il n’existe, hélas, aucune ONG, aucune Société de Protection, aucun Rainbow Warrior.

Il veut me parler donc, et sans me demander mon avis, il commence à m’expliquer, grand Maître, les nombreuses choses que j’ignore (moi, esprit si étriqué) à propos de la spiritualité. Il me fait d’abord part de ses dons : il peut, dit-il, voir les auras. Les quoi ? Les auras. Nous sommes faits d’énergie spirituelle, et lui peut voir cette énergie émaner de nous. Il me confie quelques expériences : un jour, il a vu l’aura d’une femme dont il ignorait qu’elle avait fait, 20 ans auparavant, une fausse couche : il a nettement perçu un trou d’aura, un vide au niveau de la matrice. Chez un autre, il a remarqué un vide autour des yeux, une déformation de l’aura. Le type s’est révélé être atteint d’une maladie des yeux. Je le mets un peu en doute, car il approfondit son expérience en m’assénant des théories. Je conteste ses théories (ce n’est pas que j’aie envie de continuer longtemps à palabrer sur ce sujet débile, mais que voulez-vous, il me prêche, il est dans ma chambre). Il m’explique, preuve rationnelles à l’appui, que Descartes (il cite Descartes, oui, vous lisez bien ; bien entendu, il n’en a jamais rien lu ; c’était quand, Descartes ? Je sais pas.) s’est trompé, que tout n’est pas rationnel. Je lui rétorque que ce n’est pas du tout une thèse de Descartes. En vain. Que ce n’est d’ailleurs même pas une thèse, on peut à la limite dire que tout est analysable par la raison, mais à l’évidence, on ne pourra jamais dire que, par exemple, une forêt est rationnelle. En vain.

Il passe à la médecine chinoise. Toute notre médecine est fausse. Il faut guérir l’âme, ouvrir les shakras. On développe un cancer du sein si on a peur de la sexualité. On est cardiaque si « on a mal au cœur ». Toujours. Cela fonctionne ainsi, je l’ignore, et il me l’explique. Pourquoi la médecine chinoise est-elle efficace ? Parce qu’elle est là depuis des milliers d’années (dans ma tête je me dis, ce qui est clair et établi c’est qu’elle est aujourd’hui responsable de plus de disparitions d’espèces animales que de guérisons). Face à l’argument d’autorité, je lui rétorque que l’astrologie est vieille aussi (d’ailleurs, pas tant que ça, celle d’aujourd’hui n’est pas celle des anciens orientaux), et que sa véracité est plutôt douteuse. Il me tire de mon erreur : l’astrologie est exacte. Il me cite des cas. Vénus est ici, donc telle conséquence pour moi. L’acupuncture ? idem. On touche les centres vitaux d’énergie spirituelle.

Sur mon écran d’ordinateur, j’ai une photo que j’ai téléchargée du site d’Horvat, elle montre un bébé et un chat. Il la voit. Il me dit : ouh là ! c’est très dangereux. Je lui dis : quoi ? Et il m’explique que les chats sont comme ça, ils prennent toute l’énergie, surtout celle du ventre (c’est pour ça qu’ils se frottent aux humains) ; et donc c’est dangereux pour les bébés, parce que le contact du chat risque de les décharger. Je suis assommé de délire.

Il continue. Il m’explique : pour une vie saine, lui, il a choisi d’avoir un Maître spirituel. Il en a un. Il me raconte comment il l’a rencontré, quel prestige il a etc, à quel point on l’aime. Un starets Zosime, en dix fois mieux ; ça c’est moi qui le dit, parce que lui, Dostoïevski, connaît pas. Il a son maître, il le rencontre, chaque fois c’est un nouvel élan dans sa vie. Pauvre con.

 

 

Un autre jour, plus récemment, je reçois un mail d’une jeune fille allemande, que j’avais vue il y a un an, rapidement. Elle avait cherché à découvrir mon signe zodiacal ; elle en a proposé un, échec, puis un autre, échec ; je lui dis finalement, elle dit en gros : ah, oui, c’était ça. Elle dit qu’elle a une sensibilité spéciale pour cela. Qu’on ne se méprenne pas : c’est une fille intelligente et très sensible en effet, sur le plan humain. Mais… astrologue. C’est à dire, utilisant ce filtre, et disant : c’est avec que je vois le mieux. Elle m’envoie donc, dans ce mail, les instructions pour la nouvelle année du Dalaï-Lama en personne. Qu’il faut s’aimer, soi, les autres, être en harmonie, ne pas oublier de faire le vide etc. Rien de méchant ni de nocif là-dedans. Mais… je suis français, je me sens bien, placé dans la tradition des philosophes et de la pensée libre ; des exemples, mais pas d’Autorités. Voir sur ce sujet ce qu’en a dit untel, mais pas recopier mot pour mot ; ou, recopier, si cela semble totalement juste ; mais avant, réviser, ou après, compléter. Alors, je devrais faire ce que dit le Dalaï-Lama (avec lequel je suis en gros en accord), parce qu’il le dit ?

Il y avait une consigne à la fin des instructions du tibétain : supprimer ce message avant 96 heures, et il vous arrivera quelque chose d’heureux. J’ai supprimé en 5 secondes, – mais je n’attends rien de cela précisément.

Alors voilà. L’athéisme n’est certainement pas une chose très répandue ; ce qui domine, c’est sans doute, d’une part une indifférence religieuse floue, de l’autre une brumeuse croyance. Mais, si peu souvent une pensée bien mûrie. Moi, je sais pourquoi le christianisme (plutôt protestant) m’attirerait ; et je sais que je ne pourrai pas avoir la foi. En conséquence, je suis athée. Mais toute cette part de la croyance vague, du temps des sectes et des religions de supermarché ? Seigneur, pardonne tous ces fous qui se signent pêle-mêle devant charlatans-médicastres, astrologues, chamanes, gourous, prêtres, ministres, sorciers et guérisseurs. Une morale d’ici-bas et une bonne acceptation (nietzschéenne ?) du monde, ce n’est pas pour aujourd’hui, ce n’est pas pour demain.

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