Evangile final : la colère

La terre se détourne de son axe et flotte.

I. PROLOGUE

Arrivée de Jésus

Il apparut partout à quelques heures d’intervalle ; personne ne le vit ; de ciels couverts, de ciels ensoleillés, de ciels enneigés, il descendit dans des maisons, dans des hôtels et sur des places : personne ne le vit. Il fut sur terre pour dix années entières et toujours, dans les rues, personne ne se retournait sur son passage.

Rencontre de l’Ange

Lors il arriva un jour où Jésus était sur une plage. Un petit enfant vint le voir et lui dit : qui es-tu, Seigneur. Et Jésus répondit : Je ne sais pas Qui Je Suis. L’enfant s’assit auprès de lui et lui annonça qu’il avait un message à son intention. Ils ne dirent plus rien et la nuit tomba. L’enfant était luminescent ; Jésus se leva et voulut partir ; la main de l’ange le saisit, et Jésus s’effondra.

Il ne répond pas

L’aube suivante Jésus se réveilla au même endroit avec du sable dans la bouche. Il regarda autour de lui et se crut seul ; et à nouveau il voulut partir. L’ange descendit du ciel et lui dit : Maintenant, rappelle-toi. Jésus ne le regarda pas et ne lui parla pas. L’ange disparut. Jésus se rendormit.

La femme fatale

Quand il se réveilla il alla directement à l’église. Il s’assit sur un banc et pleura. Alors une femme très belle vint à lui et lui demanda : Qui es-tu, Seigneur. Il ne répondit pas. Elle le prit dans ses bras et lui murmura à l’oreille (un murmure comme le souffle d’une brise légère) : Seigneur, bientôt il faudra que tu le fasses. Jésus lui dit : Et toi, comment sais-tu ? Elle dit : J’ai prié, la nuit dernière ; je sais, et je veux bien. Jésus dit : Et tu n’iras pas et tu ne verras pas la Lumière, cela ne te gêne-t-il pas ? Elle répondit : Seigneur, j’aime tout ce que tu as décidé. Elle le serra à nouveau contre elle, l’emmena dans sa maison, le nourrit et lui offrit une couche. A partir de ce moment Jésus se décida à parler et les anges commencèrent à mourir : chaque matin, de petits débris tombaient et se désintégraient avant d’avoir touché le sol.

Les disciples

A nouveau Jésus apparut partout sur la terre et on lui demandait qui il était. Les foules se rassemblaient et marchaient à sa suite, on lui posait des multitudes de questions et on prenait souvent des airs complices, surtout quand il ne répondait pas. Partout les yeux croyaient ce qu’ils voyaient, quatre blessures aux mains et aux pieds, et une plaie au côté ; chaque nuit, pendant qu’il dormait, des gens dans la foule venaient lui ouvrir sa chemise pour le voir, et une grande joie se répandait dans les pays. Cependant Jésus était de plus en plus suivi et ne disait toujours rien. Tous ceux qu’il rencontrait, il les prenait avec lui, il les nourrissait et leur faisait passer les continents ; ils riaient et tremblaient, chantaient des psaumes et se réjouissaient dans leurs cœurs, à tel point que, dans la rue, ils ne pouvaient s’empêcher de dire à quiconque “ Répandez la liesse dans le pays ! ” ; et Jésus était là et il les reprenait chaque fois qu’il les voyait faire, et il disait aux gens qui avaient été prêchés : “ Non, ne répandez rien, il ne se passe rien de spécial, ne le dites pas ” ; mais eux continuaient à parler et à en prêcher d’autres, si bien que la foule s’accroissait autour de Jésus. Et lui peu à peu ne disait plus rien et il grimaçait au sein des disciples réjouis qui le bousculaient et le célébraient à haute voix ; parfois aussi l’un d’entre eux le regardait fixement pendant quelques secondes et s’inquiétait : “ pourquoi ne te réjouis-tu pas avec nous, Seigneur ? L’Heure du Jugement n’est-elle pas aujourd’hui venue, et ne sommes-nous pas tous justifiés ? Pourquoi ne dis-tu rien, Seigneur ? ” Et lui s’en détournait.

Bataille au sujet du Message

Or il arriva qu’un jour ils étaient vraiment nombreux autour de lui et répandaient sur la terre le bruit de leur allégresse.

Depuis le début de sa prédication, Jésus avait bien senti qu’il était surveillé par l’Ange du Seigneur. Or ce jour-là, quand il sortit de sa chambre d’hôtel et arriva dans la cour où, comme chaque matin, l’attendaient les disciples réjouis, il ferma les yeux et remarqua que l’Ange avait disparu ; il bouscula les disciples et fendit la foule en courant, et ainsi arriva dans la rue ; il s’y engouffra et continua à courir du plus vite qu’il pouvait, de telle sorte qu’après quelques minutes, il se retrouva seul au beau milieu d’une ruelle étroite, et se crut sauvé. Dans cette ruelle était une petite porte de fer, derrière laquelle l’Ange du Seigneur, qui sait tout, attendait caché ; quand il la vit, Jésus se dit en lui-même : si j’entre ici, mon Père ne me retrouvera pas, je m’en irai et je me dissimulerai. Il poussa donc cette petite porte. Mais sitôt entré, l’Ange du Seigneur qui l’avait guetté l’attaqua et le passa à tabac plusieurs heures durant, il prit Jésus et le frappa comme pour le mettre en pièces, défigurer Sa face et le supprimer Lui ; mais il ne le tua pas. Jésus tomba inconscient. L’Ange se coucha à son côté et lui prit la main. En quelques secondes, il lui redonna vie. Jésus et l’Ange du Seigneur sortirent et retrouvèrent les disciples qui ne s’étaient aperçu de rien. Pourtant Jésus se débattait encore contre l’ange de telle sorte que certains se demandaient : Mais que lui arrive-t-il ? Quelle est cette maladie qui atteint le Seigneur ? Mais personne ne pouvait répondre. Toute cette journée Jésus et l’Ange luttèrent, fracassèrent des vases et blessèrent des disciples ; Jésus essayait d’ouvrir la bouche pour chasser les disciples et insulter l’ange, et l’ange le réduisit au silence, et à la fin Jésus fut vaincu. Il s’assit sur une pierre calcaire et demeura pensif trois jours entiers.

Un nouveau Message

Le jour suivant Jésus se leva et monta sur une table de banquet après avoir renversé les vins et abattu les mets. Il dit : Maintenant, interrogez-moi. Et ils l’interrogèrent.

  • Qui es-tu, Seigneur ?
  • Je suis le Seigneur, votre Dieu.
  • Es-tu venu pour le Jugement ?
  • Non.
  • Es-tu venu pour le Salut ?
  • Je ne crois pas.
  • Es-tu venu pour la fin des temps et l’établissement du Royaume ?
  • Aucune chance.
  • Alors pourquoi es-tu venu, Seigneur ?
  • En vérité, en vérité, je vous le déclare : mieux eût valu pour vous que je ne fusse pas venu. Mais voici, voici : en vérité, actuellement l’Agneau mène son Seigneur par le naseau, et avec sa bouche, il lui fait éteindre le feu du sacrifice. M’a-t-on compris ? Je suis venu dire que cette incarnation n’aura pas de suite et pas de succession.

Et ils cessèrent de l’interroger.

II. Première prédication de Jésus : L’absence de foi

Pas de foi

Vous n’avez pas compris. Je suis venu, je vous ai dit, et vous n’avez pas eu la foi. Longtemps vous avez fait comme si et vous preniez des airs doctes, d’autres fois vous doutiez et vous contredisiez ; mais vous n’avez pas compris, vous n’avez même jamais, du premier jour du soleil à son coucher ce soir, été rien qu’en situation de comprendre.

Poser la voix

Si vous vous souvenez, je prenais (la première fois) certaines intonations sur certains mots ; à des moments, je vous ai parlé à voix basse, en me faisant le plus doux possible ; d’autres fois, mon visage restait très calme mais je hurlais. Mais vous, toujours, vous êtes restés là à ne pas entendre ce qui se donnait à entendre.

Les langues

Pourtant vous vous êtes mis à croire que vous aviez entendu quelque chose. Vous avez appelé ça une “ nouvelle ”. Pour mieux savoir cette nouvelle vous avez appris le grec, l’hébreu, le latin ; cela ne vous a pas donné Dieu lui-même : cela vous a donné le grec, l’hébreu, le latin. Pendant très longtemps vous avez appris des langues à vos enfants en leur expliquant que c’était le Seigneur. Les enfants pensaient réciter le Seigneur ; ils voulaient rire Seigneur, et surtout pleurer Seigneur ; en fait, ils riaient et pleuraient, sans surcroît. Vous n’aviez pas compris, et vous ne leur avez rien donné à comprendre. Dès l’instant où l’on vous a transmis la Parole par le biais de la voix, vous avez enseigné des langues. Mécréants que vous êtes.

La première fois

Quand je suis venu la première fois vous étiez plusieurs, dans ce petit coin du monde, à attendre quelqu’un. Aucun n’attendait le même. Quelqu’un est venu. Il est dit : Et Quelqu’un lutta avec lui jusqu’au lever de l’aurore. Je suis descendu et vous vous êtes tous précipités pour dire : voici, tu es quelqu’un, je t’ai reconnu. J’ai été pâtre pour les brebis et poisson pour les pêcheurs ; je “ protégeais les lignées ” de vos seigneurs et je guérissais les malades dans le peuple ; pour les bourgeois, je gardais le coffre. Le jour où j’étais sur la croix, pourtant, je vous avais tendu une clef, lorsque je fus abandonné. Dans la suite des siècles, certains m’ont renié, et parmi ceux qui me reconnaissaient, certains ont voulu me tuer ; mais personne ne m’a jamais abandonné. Moi, Dieu m’a abandonné, et jamais je n’ai été plus proche de lui. Je me souviens aussi : à Emmaüs, vous n’avez pas compris que j’étais là si vous ne me voyiez pas ; et quand vous m’avez vu vous avez seulement cru me voir : je crois que vous avez oublié de bouger votre langue sur ce sujet.

La première fois : une bonne fois

Quand je suis venu la première fois, vous en êtes tous restés pantois ; il y en avait beaucoup de très intelligents parmi vous ; aucun n’a compris. Ce sont les mêmes à qui je me suis adressé qui ne sont pas venus ce jour-là ; moi, j’y étais. Après qu’on m’eut descendu de croix et couché dans le linceul je me suis senti tout bizarre, car j’étais mort. On me manipulait ; par exemple, on soulevait mon corps aux épaules, et ma tête sans vie et flasque basculait en arrière et sur les côtés. A la résurrection j’ai pu contrôler tout cela à nouveau, et diriger mon visage à nouveau ; si peu d’entre vous étaient là pour me voir ! Vous verrez, à votre mort, vous ne sentirez rien, et il n’y aura personne non plus ; et rien ne vous sera donné.

Chair à lions

Quand je suis venu la première fois vous en avez déduit un certain nombre de choses sous le coup de vos tournures d’esprit particulières. Il vous est arrivé, surtout au tout début, d’avoir des fois à toute épreuve, d’une solidité impeccable, de telle sorte que par exemple, pour montrer leur résistance, vous les avez exhibées dans des stades en vous mettant sous la dent des lions ; les lions mangeaient votre chair (et vous trouviez qu’elle était très faible) et ne pouvaient pas nuire à votre foi (que vous vous félicitiez de voir si forte). Et dire que vous êtes morts pour rien ! Maintenant écoutez-moi, écoutez-moi : ça ne vous est pas venu à l’esprit que j’avais pu me tromper ? Ou, que j’avais pu ne pas tout vous dire, ou que vous n’aviez pas tout bien compris ? Quand j’ai guéri les morts en Palestine, vous n’avez pas demandé des comptes sur ceux d’ailleurs et d’avant ; vous n’avez pas eu pitié ; et dire que vous avez eu la foi ! Trois cent cinquante ans après moi, à Rome, vous avez voulu dire que vous mouriez pour moi. Et pendant ce temps, chez les Thraces, ils vivaient sans moi ; et cela ne vous a pas préoccupés. Mais en vérité, en vérité, j’ai plus aimé vos fois vacillantes que vos fois arrimées ; chair à lions.

Missionnaires en retard

Et quand j’ai été là la première fois, quand je vous ai dit de partir et d’aller par le monde, vous êtes restés chez vous souvent ; mais laissez-moi vous le dire, la Galilée a eu tort de ne pas être le Siam, la Bétique s’est trompée en ne se dirigeant pas vers l’Ethiopie. Arguez que vous n’aviez pas de carte du monde : je rétorque qu’il n’est pas besoin de savoir la destination pour entreprendre le voyage. Lorsque quinze, seize, dix-sept et dix-huit siècles après, vous vous êtes enfin décidés à aller évangéliser plus loin, vous aviez un petit autre chose en tête n’est-ce pas : il y avait de l’homme… mais surtout il y avait de l’or. Cela vous a bien servi, le titre d’évangélisateurs comme caution ; puis, vous avez pu vous en passer. Maintenant chacun a la télévision chez lui pour voir le monde : vous n’avez pas su lire. Opportunistes de la foi.

Missionnaires massacreurs

Et aussi, parfois, la première fois, vous étiez sûrs d’avoir compris et vous êtes partis chez les peuples. Moi, j’avais dit d’en parler : dites qu’il y a quelque chose. Vous, vous avez forcé les gens à croire. Les païens vous avaient massacrés ; vous, de nombreuses fois dans la suite des siècles, vous avez massacré les païens “ pour l’amour de moi ”. Mécréants que vous êtes. Et quand vous mourriez ainsi en apprenant la nouvelle aux païens, quelquefois, on ne savait pas comment, vous tombiez tout soudain tués par vos propres flèches, avec, planté dans le cœur, votre propre glaive. Maintenant apprenez-le et sachez-le : dans vos guerres contre les païens, vous ne mourriez pas de leur main, non, vous ne mourriez pas de la leur ; mais de ma propre main. Contre les Indiens d’Amérique du sud vous avez décidé de toujours partir deux par deux ; vous auriez pu partir par paire de milliards ! Vous auriez pris des flèches quand même. Comment avez-vous pu penser que j’agréais ? Etiez-vous ivres ? Vous aviez le cœur rempli d’une foi toute frelatée.

Contempteurs d’eux-mêmes

Et même, vous avez cru comprendre qu’il ne fallait ni se faire tuer par les lions, ni aller exterminer les païens en mon nom ; et donc, vous vous êtes tenus enfermés, pendant des siècles ! Et vous vous êtes plu dans ces mauvais lits. Vous vous êtes dit que vous alliez vous infliger des sévices, soit seuls, soit les uns les autres, et que, moi voyant cela, j’en aurais grand plaisir, que j’adorerais vos attritions, vos contritions, et vos désarrois. Mais que s’est-il passé ? Un des évangélistes aurait-il, par hasard, écrit que j’avais tué à coups de pied la prostituée, que ma main s’était abattue sur le lépreux, et que je haïssais le pécheur ? Et qui pensiez-vous que vous étiez, alors, pour vous autoriser à vous dénigrer de vous-mêmes, et à châtier de vous-mêmes ces petites parts de création que vous êtes ? Vous a-t-on enseigné à abattre la jeune pousse “ par amour de moi ” ? Est-elle sortie de ma bouche, la prescription de vous faire du mal à vous-mêmes ? Et savez-vous si bien ce qui est bien et mal, que vous puissiez vous autoriser à obscurcir de vous-mêmes la clarté de vos jours ? Moines, écoutez-moi, je vous le dit, certains d’entre vous ont beaucoup aimé Dieu et la Création, mais écoutez-moi, je vous le déclare, si Dieu avait voulu que vous fussiez douloureux et prisonniers, ils vous aurait vêtus d’une peau de porc-épic en fer et l’aurait retournée vers le dedans de vous. Je vous ai enseigné à pardonner et à aimer malgré tout, et vous avez pêché contre vous-mêmes dans le but de punir le pêché que vous aviez commis. Mécréants que vous êtes, moines.

Ascètes

Il a été dit qu’il y aurait de la colère, du sang et des larmes ; il a été dit qu’il y aurait de la foi gros comme un élément d’ADN, et qu’elle aurait la force de modifier toute une géographie continentale ; il a été prévu et donné de la joie, et surtout beaucoup d’amour. Mais, prêtres, où avez-vous pris l’interdiction du mariage et de la “ chair ” ? Est-ce que c’est Paul qui vous l’a dit ? C’est Antoine, c’est Augustin ? Qui vous a dit que vous étiez fondés à exercer le pouvoir sur les cités, et que vous seriez privés du contact des femmes ? Qui vous a soufflé à l’oreille qu’il y aurait, dans l’amour de la créature à la créature, une impureté ? Qui donc vous a interdit de jouir du corps ? Avez-vous fait vos classes religieuses chez les Esséniens et les mortificateurs ? On vous a bien dit qu’il y avait du Souffle dans tout cela, mais qui vous a dit d’essayer de mettre ce que vous appeliez votre “ chair ” en apnée ? L’avez-vous trouvé dans Genèse 3.7 ? Ah, prêtres, fidèles, la psychanalyse est bien faite pour vous !

Ratiocineurs

Et l’une des choses qui vous a le plus plu, dans l’évangile, ç’a été ma distinction entre ce qui est à César et ce qui est à Dieu. Vous vous êtes dit, si à midi je suis à César, j’en tirerai tous les bénéfices ; soit ! le soir, je serai à Dieu (qui sait ce qui pourra m’arriver dans la nuit obscure) : je gagnerai le double. Et vous avez reconnu Dieu dans les puissants ! Et vous êtes allés direct en enfer. La distinction profane / sacré vous a tellement bien arrangé que vous avez investi de gros capitaux intellectuels dans le développement théorique de cette notion ; il y a deux cités, etc. Dans le vêtement, dans les mœurs, vous avez institué des codes qui disaient : celui-ci appartient plus à César, celle-là porte la robe de Dieu, celui-ci prie pour les autres et celle-là tisse les bannières des guerriers. Vous trouviez ces ordres et ces classes conformes à la Parole. Et vous n’avez pas rendu à l’espace ce qui était à l’espace, et au temps ce qui était au temps. Mais tout cela vous a plu comme un jeu, où le meilleur stratège l’emporte ; maintenant, je puis vous le dire : à ce jeu, même Dieu a perdu, à cause de vous ; vous, raisons torses et qui ne s’avancent que de biais.

Croire et croire que

Et pendant tout ce temps vous dites que vous avez cru ! Et pas vraiment en moi ni en mon Père : CRU ; et moi je dis que vous avez cru que. D’autres disent : Je peux penser ; je dis qu’ils peuvent seulement penser que. Vous avez cru trop de choses : je dis qu’il vous aurait fallu une foi blanche, une foi vide comme une table rase : la couleur est déjà de trop. Ainsi vous avez couché la spiritualité dans un grand lit au sein d’une chambre froide ; vous avez bordé ce lit et dormi dans un autre.

Ce n’est pas la seconde fois.

Je suis content de vous avoir en face aujourd’hui ; mais cela n’arrivera plus. Mais sachez-le dès à présent : ce n’est pas la deuxième fois que je viens. Ne vous agitez pas, ne vous étonnez pas : après tout, vous êtes habitués à ne rien voir.

Ainsi donc, je suis revenu de nombreuses fois, pour vous voir. Pas seulement pour vous voir : je venais visiter les cerfs, je me promenais dans les vallées ; je m’asseyais des après-midi entières en lisière d’une zone désertique, d’où je regardais finir chaque jour que Dieu fait : n’allez pas voir, herméneutes de moi-même, une allusion à votre esprit dans cette zone désertique ; je dis qu’il n’y aura plus de paraboles.

Quelquefois, je me suis intéressé de près à ce que vous faisiez. Savez-vous que vous avez des sciences vraiment intéressantes ? Je me suis arrêté à plusieurs bibliothèques, maisons de la sagesse et autres lieux où vous mettiez beaucoup de votre savoir écrit. Certains d’entre vous ont fait de si jolies choses ! vous avez eu des pensées tellement fines… et vos inventions, et vos aménagements !… N’est-ce pas, certains d’entre-vous ont eu des moments vraiment divins.

Mais aussi, souvent, ce que j’ai vu ne m’a pas plu.

Le théologien

Une fois, vous aviez installé une haute école de théologie, là, en Angleterre, c’était une des toutes premières de ce genre chez les européens. Vous aviez bâti une grande cathédrale, à laquelle vous aviez adjoint un de ces studium, une de ces universitas que vous consacriez aux discours m’ayant pour objet. Vous nourrissiez des scholars, vous leur rasiez le dessus de la tête (où avez-vous pris cela ?), et vous passiez vos jours à les examiner. Une de ces fois où j’étais revenu parmi vous sans mission particulière, je suis devenu un de ces scholars. J’ai appris ce qu’on avait à dire sur moi, j’ai travaillé, j’ai essayé de bien me tenir “ à votre mode ”, et j’ai passé l’examen. Le jour dit, je me suis retrouvé dans une salle avec les Maîtres à la figure austère. J’ai exposé le discours qu’il fallait, j’ai argumenté dans la langue qu’ils voulaient m’entendre parler. Et puis à un moment, j’ai été devant celui qui m’avait plus personnellement formé ; et alors qu’il m’interrogeait sur qui j’étais, je lui répondis : Fils du Fils ; je voulais rire, un peu, et puis voir : je pris une gifle. En vérité ces enquêtes sur le niveau de savoir des gens sur moi ne m’amusaient qu’à moitié. Je n’aime pas tant me faire battre en mon nom propre, et je ne suis pas retourné tellement souvent dans vos établissements d’enseignement.

Le bandit

Une autre fois (c’était bien quatre ou cinq siècles plus tard, et ça se passait près de Kiev, dans la Russie des Tsars, les maîtres de la “ troisième Rome ” ; mais était-il nécessaire que vous multipliiez ainsi les Rome, et quel but cela avait-il ?) je ne savais pas trop quoi faire et je me promenais, de nuit, dans une “ forêt obscure ” (et non, ce n’est pas une parabole). On m’avait bien prévenu (car j’avais passé quelques jours à Kiev, chez des marchands) de ne pas aller de ce côté-là, vers la forêt, que c’était dangereux et rempli de brigands, des coupeurs de tête. En effet, vers deux heures du matin, alors que la lune était pleine, j’en entendis un approcher ; je montai dans un arbre et décidai de l’observer. Quand il fut à quelques pas sous moi, j’entrai dans sa conscience, et je l’inspectai sans qu’il sentît rien ; bien que ce fût un tueur, il ne l’avait pas encore trop chargée, sa conscience. Il arriva tout à fait sous moi et je lui tombai dessus, manquant lui briser la nuque. Cette fois-là, je n’étais pas délégué par le Seigneur, mais venais de mon propre gré. Il était à terre et me regardait… et je me mis à briller, parce que le Seigneur avait décidé de se servir de ma petite incartade pour voir s’il y avait moyen de justifier cet homme. Lui se signa, se releva, et me raconta ce qu’il avait fait jusqu’à présent, ce qu’il avait compris, qui il avait tué, etc. Quand il repartit j’étais assez satisfait de lui. Il n’invoqua jamais cette rencontre, et jamais le nom du Seigneur ; ce n’est pas le genre d’hommes pour qui les orthodoxes auraient uni les mains en souriant d’un air tendu ; et il fut justifié. (Bien sûr il ne tua plus.)

Les chevaux

Une fois je n’avais pas fait attention et je suis descendu pile sur un champ de bataille, c’était en 1632, à Lützen. Bien entendu c’était la confusion de peuples, les suédois, les allemands, les croates de l’Archiduc d’Autriche, les Français… Vous hurliez dans un nombre de langues et de patois tout à fait impressionnant, sans compter les argots militaires !… Vous aviez quelques chapelains pour vous dispenser d’avoir à penser à moi dans ces “ moments difficiles ” où vous vous étripiez. Sur le plan de l’art de la guerre, vous étiez déjà passés à une faible proportion de cavaliers, en comparaison d’avec le nombre de fantassins et d’artilleurs. Mais nonobstant, vous aviez quand même pas mal de chevaux. Ils étaient très inquiets, je le sentais bien ; ils renâclaient, ils rechignaient, je n’y étais pas pour rien, ils se cabraient pour vous renverser, et partir ; vous deviez déployer une grande quantité d’énergie pour les faire s’enfoncer dans le vacarme sanglant. J’étais là, et je vous regardais vous massacrer en chantant en luthérien, en catholique, en calviniste.

Partant du credo de Nicée, Verus Homo, Verus Deo, vous ne vous êtes jamais demandé si j’avais pu douter.

Eh bien ce jour-là, à Lützen (ce n’est quand même pas souvent que je viens vous voir vous charcuter de près, en direct pour ainsi dire), j’ai quasiment perdu la foi. Certains d’entre vous font la guerre extraordinairement bien. Ils y déploient un courage, une adresse, une ingéniosité, une force, tellement puissantes que c’en est admirable. Ça a duré quoi, une heure, le temps pour vous de faire cinq mille mort, – mais cette heure-là j’ai vraiment fait l’expérience que vous alliez surtout connaître plus tard (du moins explicitement, en l’avouant) : je voulais fondre sur vous, vous déchirer et vous mettre en pièces ; j’étais sans foi, sans Seigneur.

Le soir est tombé et vous avez lentement cessé de combattre. Vous avez récupéré les blessés les plus frais, vous en avez essuyé la boue, pour qu’ils puissent vous resservir le lendemain ; et vous avez traîné quelques chevaux morts, pour les cuire.

Dieu m’a rappelé et je suis remonté.

Au ciel, on avait fort à faire : quarante mille morts environ, et cinq mille chevaux trépassés. J’ai fait deux groupes. Et j’ai sauvé les chevaux. Vous, je n’aurais pas pris de plaisir à vous sauver ; j’ai retrouvé un peu de foi pour les chevaux. Comme vous mettez à mal la création, hommes violents !

La Londonienne

Une fois, au XIVè siècle, je ne sais plus trop qui c’était, mais quelqu’un, trouva sur sa route une londonienne, sans doute une paysanne vivant à la ville, ou une femme d’artisan, et il l’interrogea. Lui devait être un prêtre ou quelque chose comme ça. Il lui parlait, et dérivant sur le sujet de moi, il trouvait ses réponses de plus en plus curieuses ; notamment, il lui fit parler du Paradis, comment elle l’imaginait ; et elle (elle avait des cheveux très noirs, une jupe de toile écrue, un châle vert sur sa tête, et un panier rempli de légumes à la main), elle répondit “ qu’elle n’avait pas besoin du Paradis, car elle était parfaitement heureuse en cette vie ”. J’étais là, à quelques mètres, cela se passait au marché, près d’une petite église de quartier, pas loin de la Tamise. Moi, je fus charmé : une femme parfaitement heureuse en cette vie ! Rendez-vous compte ! Cela ne se trouve pas si souvent, un amour sans arrière-pensées pour la Création. Vous savez, elle n’était pas très riche, vous vous avez appris à mesurer le bonheur à ça, elle elle n’était pas très “ pieuse ” (ce que vous appelez être pieux). Or, je vis l’homme qui l’interrogeait s’exciter de plus en plus et la harceler, se signer, et même s’écarter, et parfois la bousculer… elle baissait la tête, elle répondait sur l’eucharistie, si elle la prenait souvent, et qu’est-ce que c’était pour elle… L’homme s’en alla finalement prévenir les autorités urbaines, car (pensait-il), c’était son “ devoir moral ” ; et on inculpa la femme. Je ne sais pas ce que vous en avez fait ensuite, si vous l’avez brûlée, ou si vous l’avez un peu torturée pour qu’elle “ abjure le démon ”. Moi, j’ai aimé cette femme. Vous, vous l’avez inculpée.

Aller et venir

Et à plusieurs reprises votre gorge s’est serrée d’anxiété et vous vous êtes contemplés avec dégoût ; et vous avez dit, soit, prenons des mesures ; où est ce Livre ? Le voici ; regardons à nouveau ce qu’il y a dedans, et faisons avec. Et vous avez lu et relu, et dans presque chaque siècle, vous avez conclu qu’il fallait revenir à l’Eglise primitive. Et vous avez entrepris ce retour à de nombreuses reprises.

Mais là où vous vous êtes trompés, c’est qu’il n’y a jamais eu d’Eglise primitive. Votre modèle vous a fui entre les doigts ! Car vous cherchiez sa base dans le temps, là où il aurait fallu la trouver dans le cœur. Mais laissez-moi vous le dire : de toute la terre, de tout l’Univers, il n’y a pas de région plus vierge et plus inexplorée que votre cœur. Vous pouviez être chrétiens n’importe où, n’importe comment, simplement en ayant lu et en cherchant en vous. Il n’y avait pas à revenir : il y avait à aller. De combien de malencontreux retours vous êtes les auteurs ! Chaque fois, je vous ai vu, et vous alliez toujours à contresens.

Souvent

Vous ne saviez pas, n’est-ce pas, que j’étais venu si souvent. Mais je suis venu, et j’en ai vu beaucoup. Jésuites, je vous ai vu quitter la Cour Ming, d’où vous commenciez à avoir des succès en Chine. Je vous avais vu apprendre la langue, et lire les livres lettrés ; je vous ai vu devenir habiles et réfléchir à comment me raconter, pour me faire accepter, sans les nier eux. Jésuites ! Matthieu Ricci ! Je vous soutenais ! Maudits Jésuites, qui vous a dit d’écouter Rome ? Si Rome vous dit : Le Christ est le démon, vous, allez-vous exorciser vos crucifix ? Maudite soit Rome et ses vieillards revêches ! J’étais au-dessus des disciples, pour eux, parce que j’étais Dieu. Et ne leur ai-je pas toiletté les pieds ? Alors vous, qui êtes-vous pour accepter qu’on vous donne des ordres, au nom de celui qui n’en donnait pas ? Lisez : est-il écrit que j’ai été nommé centurion de légion ? Maudits chrétiens qui, croisés, ont tué ceux qui sans me reconnaître me respectaient mieux qu’eux ! Fidèles chiens de moi-même, lisez le Coran et contemplez l’umma, et vous saurez qui sont les chrétiens et qui me suit et qui me reconnaît. Maudits croyants qui au nom du message, le trahissent en méprisant les incroyants. Ai-je dit : Je suis venu pour un peuple parmi vous ? Je suis venu pour une caste parmi vous ? Parmi vous, je suis venu pour un seul ? Ai-je dit de pressurer et ai-je appris la façon de jeter la pierre ? Vous êtes passés champions de boxe, au nom du respect et de l’amour. Je ne suis plus là pour très longtemps.

Échec de la première Révélation

Vous n’avez pas eu de la foi gros comme une gouttelette de rosée déposée un matin sur la vitre arrière d’une voiture garée dans une ruelle abritée. Si vous n’aviez simplement pas assez bien agi, si vous aviez commis des erreurs, ce n’était pas un motif de répression : dans le monde, les erreurs sont une possibilité. Mais vous avez fait plus que commettre des erreurs : vous avez cru que vous n’en commettiez pas et, délivrés de l’inquiétude, vous vous êtes condamnés vous-mêmes.

Maintenant écoutez-moi, écoutez-moi, en vérité je vous le déclare, je ne sais pas comment nous avons fait pour croire que cela pourrait s’implanter et croître derrière le visage de l’homme, mais il devait y avoir trop de sable au sein des mécanismes de la divine Sagesse, pour que cela puisse fonctionner parmi vous.

Vous avez entendu quelque chose, vous n’avez rien pris la peine de vérifier, vous avez placé de grands murs pour faire tourner le vent un peu plus dans votre sens. On vous a vu contrits, extasiés, autoritaires, très pieux, affligés, horrifiés, et pas une seconde vous n’avez cru. Chaque fois vous m’avez surpris avec votre irrespect, votre ignorance.

Vous avez toujours prié chaque jour à heures régulières, vous vous leviez même rien que pour ça (êtes-vous des chats, pour que vous dussiez vivre un sommeil ainsi entrecoupé ?), vous vous tendiez vers le ciel avec les mêmes genoux, les mêmes prières ; chaque fois le Seigneur vous a battu à plates coutures et a fait sourde oreille. Régulièrement, dans la suite des siècles, vous vous êtes élevés comme des dizaines de Peuples de Dieu autoritairement sacrificiels, qui voulaient concentrer sur eux toutes les qualités de foi disponibles dans le monde. Vous m’avez harassé avec vos prières ; vous me faisiez de la peine ; vous étiez toujours là à vous tenir debout dans des lumières sans sacralité. Qu’avez-vous cru ? Que j’allais intervenir et tout accomplir pour vous ? être libre à votre place ? Moi, je suis suffisamment libre, je n’ai pas besoin d’agir pour vous. La première fois, je suis venu vous dire d’avoir confiance, que j’étais là, de me regarder droit dans les yeux les jours où vous aviez énormément gagné, et de même, ceux où vous aviez considérablement perdu. Mais je ne gagne ni ne perd au sein de votre chair à vous ; vous, vous avez toujours voulu que j’y vienne. Vous ai-je enseigné à regretter votre place ? Je vous ai dit : mangez, buvez, il s’agit de moi. Vous n’avez pas mangé comme il fallait, vous avez cru que c’était du paon farci, quand ce n’était que la foi. Et même, quand vous en avez mangé, mon corps, mon sang, vous en avez pris “ surtout pour la vitamine C qu’il y a dedans ”. Maintenant vous savez faire des remèdes autrement plus performants n’est-ce pas.

Retrait. Tourmente. Pleurs. Tempête de neige. Maintenant vous n’aurez plus de paraboles et tout va devenir très clair, vous n’aurez aucune chance de demeurer sans comprendre. Cette fois rien ne vous sera épargné en terme de message. En vérité, en vérité, je vous le déclare : Voici que je me place en embuscade contre vous, pour vous retirer toute chance de foi. Sachez-le aujourd’hui : je suis venu annuler et approfondir la Révélation.

III. ACTES SANS LA FOI

Jésus cessa de parler et reprit son souffle ; il épousseta ses vêtements car il avait soufflé un grand vent de poussière ; et il s’éloigna de la foule.

Il se dirigea vers l’aéroport, et y parvint à pied. Il entra dans un grand hall très brillant et porta son regard vers les panneaux d’affichage des vols, parmi lesquels : Jérusalem, 14h30. Il marcha lentement vers une file et attendit son tour. Quant celui-ci fut venu, il dit à l’employé des transports aériens : “ Je dois aller à Jérusalem, mais je n’ai pas d’argent ”. L’employé ne dit rien. Jésus le regarda. L’employé dit : “ Seigneur ! J’ai eu des signes. Combien cela durera-t-il encore ? ” “ Trois jours. ” “ Et dans trois jours, tout sera fini ? Seigneur, j’aimerais t’accompagner. ” “ Si tu veux. ” L’employé leur prit deux billets, et ils allèrent attendre dans une salle. Ils ne parlèrent pas. Jésus dormit dans l’avion. Une voix annonça les conditions climatiques sur Jérusalem. Beau, 27 degrés. Ils descendirent d’avion, prirent une navette et se mirent en quête d’un hôtel. L’employé dit : “ Seigneur, pourquoi un hôtel ? Crois-tu que personne ici ne pourrait t’accueillir ? Moi-même, je connais des gens ici qui… ” “ Non. Ils me demanderaient, et maintenant je puis trop peu pour eux. ” “ Qu’il soit fait comme tu le désires, Seigneur. Quelle sorte d’hôtel veux-tu ? ” “ Le plus proche. ” “ Bien. ”

Ils trouvèrent un hôtel et payèrent d’avance une chambre pour trois jours. C’était un hôtel assez riche, et le prix en était assez élevé ; mais Jésus sortit de sa poche une alliance incrustée de diamants, où manquaient déjà quelques pierres. Il dit à la femme de l’accueil : “ Tu vas te marier n’est-ce pas. Prends cette bague. Nous voulons une chambre au rez-de-chaussée. ” “ Seigneur, il n’y en a pas. Prenez une chambre du dernier étage ? ” “ Non. Alors, du premier étage ” Et elle lui donna les clefs.

Alors qu’ils s’étaient tous deux, Jésus et l’employé de l’aéroport, assis en silence sur le lit, l’employé se leva soudain, mit sa veste et sortit très vite sans rien dire. Jésus s’allongea sur le lit en essayant de ne pas prier et de ne pas réfléchir. Puis il s’endormit.

Il fut réveillé par le retour de l’employé, qui était maintenant accompagné d’une autre personne, un homme jeune et très beau. L’employé lui dit : “ Seigneur, pardonne-moi, mais je n’ai pu résister. Celui-ci est Aliocha. Lui et sa femme sont malades de la même maladie. Ils sont juifs tous les deux, et tous les deux nés en Israël. Nous sommes amis depuis longtemps. J’ai été le voir, il était ici à l’hôpital de Jérusalem. Peut-être… pourrais-tu le guérir ? ” Le jeune homme ne s’était pas approché, et il restait près de la porte comme s’il avait peur. Jésus s’était assis sur le lit et les regardait tous deux alternativement. Puis il se leva et prit Aliocha par la main, et il le fit coucher sur le lit ; il dit à l’employé : “ Va chercher de l’eau. ” L’employé revint avec un verre d’eau. Aliocha dit : “ Baptise-moi. ” “ Non. ” “ Pourquoi Seigneur, est-ce parce que je suis juif ? ” “ Non. Le temps n’est plus au baptême. ” Aliocha ne dit rien de plus. Jésus lui fit boire l’eau, le toucha sur la poitrine, et Aliocha fut guéri. Il se mit à pleurer longtemps. Jésus s’assit sur une chaise près de la baie vitrée qui servait de fenêtre à la chambre. L’employé semblait très réjoui. Après un moment Jésus lui dit : “ Qu’as-tu, est-ce le moment d’être réjoui ? ” “ Ne l’est-ce pas Seigneur ? Tu as guéri cet homme, non ? ” “ Je l’ai guéri mais il ne vivra pas longtemps. ” L’employé ne comprit pas.

Il dit : “ Seigneur, il y a autre chose. Sa femme était à l’hôpital, mais elle a été victime d’une attaque contre son système immunitaire, et placée dans un service spécial, à l’étranger. Son état est grave. Impossible de rentrer ou de sortir. Mais, peut-être on pourrait la transférer hors de ce service dans trois jours. Voudras-tu la guérir également ? ” Aliocha regardait Jésus, lui aussi, avec espoir. Il dit : “ Je l’aime tant, ma bien-aimée, pourquoi faudrait-il qu’elle meure et pas moi ? ” Jésus dit : “ Ramenez-la avant trois jours et je la guérirai. ” “ Seigneur, avant trois jours, c’est impossible. ” Et Jésus dit : “ Dans trois jours, cela ne sera plus possible. Dans trois jours, il n’y aura plus de révélation. ” Et ils ne comprirent pas mais tremblèrent. Ils dirent : “ Mais elle mourra ! ” Jésus quitta la pièce.

Le soir il ne revint pas vers l’hôtel, mais marcha dans une ville qu’il avait traversée quand il était apparu la première fois. Dans la rue, quelquefois, certains le reconnaissaient ; ils venaient vers lui et s’écriaient “ Seigneur ! c’est toi ? tu es revenu ! Mais pourquoi ? Prévenons le monde, Seigneur, il faut dire que tu es revenu, partout. ” Et lui les éloignait et leur disait “ Chut ! taisez-vous ! Ne leur dites rien. Je ne suis pas là pour très longtemps. ” Parfois certains venaient vers lui et ils avaient un air triste ; ils disaient : “ Christ, Yahvé notre Seigneur nous a prévenu en rêve ; tu es Jésus. Nous en veux-tu de ne pas avoir cru en toi ? Nous avions peu pour savoir ; nous avions Yahvé, nous ne pensions pas beaucoup à toi. ” “ Juifs, ne craignez rien. Le moment n’est plus venu de reconnaître les siens. Votre faute n’en est pas une. Merci à ceux qui se sont tenus bien, buvant mon sang ou ne le buvant pas. ” “ Mais Seigneur, maintenant, nous savons ” et souvent ils tombaient sur le sol et disaient “ Oh Seigneur, envoie-nous tout de suite au Paradis, que nous puissions chanter avec les anges. ” Et lui : “ Que dites-vous ? Vous voulez mourir pour voir ? Vous avez vu. En fait de chant, contentez-vous maintenant des radios et des télévisions. Si je vous envoyais là-haut, vous en sortiriez trop vite, et vous n’y auriez rien gagné. Vous seriez les derniers à avoir été au Paradis ; et ce n’est pas un privilège. ” Et ils ne comprirent rien. Ils les laissait, et dormit cette nuit-là dans une ruelle, sur le pas d’une porte qui ne s’ouvrit pas.

Et il courut dans la ville une grande espérance, car ceux qui l’avaient vu avaient parlé ; de sorte qu’au matin, ils l’avaient cherché toute la nuit dans la ville et avaient fini par s’attrouper autour de lui. Il essaya de s’enfuir, et l’ange apparut encore un moment au-dessus de lui, et lui seul le vit ; il dit : “ Seigneur, faut-il absolument que je parle ! ” Et il savait la réponse. Il monta sur une voiture garée et abandonnée, une vraie épave, et il recommença à parler.

IV. LAISSÉS A VOUS-MÊMES.

Deux jours

Dans deux jours je disparaîtrai et il ne sera plus question de rien remettre. Je demande qu’on ne passe pas ces deux jours en prières, à cause du fait que je n’aime guère, et ne suis guère fier, de ce que j’ai à annoncer. Voici : Depuis que le message a été donné, vous vous êtes trouvés pris en trois configurations : vous n’avez pas reçu le message ; vous n’avez pas accepté le message ; ou vous avez dénaturé le message. Plusieurs parmi vous ont su, que les promesses de châtiment éternel, nous ne les tiendrions pas. Comme vous le savez, l’Enfer est vide. Mais Dieu souffre, et je souffre, chaque fois que vous ne savez pas, refusez d’entendre, et entendez autre chose que ce qui se diffuse. Mais n’ayez crainte : en deux jours, nous avons largement assez de temps pour disparaître de vous sans laisser de traces ; commencez à vous relaxer, tenez-vous couchés sur des lits ou dans l’herbe, placez vos bras le long de vos corps, détendez votre nuque et étirez-la ; réfléchissez à quelque chose d’agréable, vous ne sentirez rien.

Deux jours d’incarnation encore

Il n’y aura pas toujours et il n’y aura pas dix jours : il y aura deux jours, et ensuite le problème cessera de pouvoir se poser. Vous ne serez plus ni faibles ni forts que selon les lois de la terre ; ou selon aucune loi. Les règles que vous avez déjà fixées ne pourront plus être contestées que dans la logique de l’histoire. Aucun “ esprit religieux ” ne pourra plus venir rétablir une quelconque alliance et un quelconque sacrement. A tous ceux qui viendront, en des noms différents, à des titres divers, faites l’accueil que vous souhaitez : hommes d’affaires, marchands, banquiers, artisans, artistes, enfants, fous, tous vous sont remis. Utilisez-les comme bon vous semblera. A vous l’histoire, à vous l’esprit, à vous le corps, à vous la mort ; je serai parti à tout jamais et vous serez laissés à vous-mêmes. Dans deux jours, la Révélation que vous avez oublié aura vécu, et vous n’aurez pas mémoire de sa disparition.

Pardon de l’incroyance

Nous pardonnons dès aujourd’hui l’absence de foi ainsi que la foi dévoyée. Vous n’avez pas à vous inquiéter. Vous pourrez user de votre liberté pour des enjeux à votre taille ; mais elle cessera d’être valide pour tout choix concernant l’au-delà, qui lui-même sera supprimé. Il est mis fin à ce type de liberté qui vous permettait de commencer à remplir les enfers et qui nous obligeait perpétuellement à vous en faire sortir. Dorénavant, ce mouvement d’échange cessera d’être pratiqué, faute de combattants et faute de lieu. Vous n’aurez plus à exercer une foi pure et simple et vous pourrez délibérément croire que. Les textes et témoignages du christianisme, ce texte-ci compris, resteront sur la terre. Mais en aucun cas il ne sera permis de croire en une quelconque validité d’eux. Si certains parmi vous désirent, veulent ou ont besoin de recourir à des personnes divines nommées “ Seigneur ”, “ Christ ”, “ Jésus ” ou “ Esprit Saint ” ; “ intercesseurs ”, “ anges ”, “ saints ” ; “ prêtres ”, “ ministres ”, “ papes ”, “ popes ”, “ imams ”, “ rabbin ” ; alors libre à eux ; mais qu’ils sachent dorénavant qu’il ne leur sera plus répondu, car, dans deux jours, les susdits noms auront perdu tout référent situé ailleurs que dans l’esprit de celui qui sera à l’origine de la demande. Ainsi soit-il.

Descente de croix

Paul vous a dit que la mort était restée clouée sur le Golgotha.

Nous disons aujourd’hui : relève-toi, mort. Ressuscite, mort. Lève-toi et marche sur le monde, mort.

Nous disons aujourd’hui que la présente Révélation annule tous les points de la première, ceux que l’homme a compris aussi bien que ceux qu’il n’a pas compris, ou qui ne lui avaient pas encore été confiés. Nous restaurons la mort, le brouillard et le progrès. Vous ferez vos conquêtes au sein de votre temps limité ; la beauté, la qualité, la grandeur de vos actions seront celles, et seulement celles, que vous, de vous-mêmes, aurez su y mettre. Nous vous souhaitons bonne chance avec votre nouveau type de liberté.

Au sujet de la Création

Nous ne portons pas atteinte à la Création en elle-même, et nous ne vous supprimons pas, non plus qu’aucune partie de l’univers, du vivant, de l’animal ou de l’homme. Formations végétales, minérales, animales, humaines ; planètes, molécules, forces de la nature, tous cela est à vous : nous signons l’acte de dévolution par la présente. Nous n’avons rien à déclarer au sujet du sort réservé aux parties de la Création qui ne sont pas l’homme ; sur ce sujet, vous n’aurez pas plus de précisions. Nous ne nous engageons pas à ne pas guider ou porter notre amour ou notre châtiment sur une quelconque partie de la Création, qu’elle touche l’homme ou non. Simplement, nous nous engageons à ne plus rechercher une modification du mode d’être de l’homme lui-même : n’ayez crainte : il ne vous sera fait aucun mal ; ne vous réjouissez pas : il ne vous sera fait aucun bien.

Lieux

Il y a certains endroits que vous n’aimez pas trop habiter n’est-ce pas : et le royaume est de ceux-là. Les duplex oui, le royaume non.

Dorénavant tout se passera ici. Je compte jusqu’à trois : un, deux, trois. Le Royaume c’est maintenant. Vous n’avez plus à attendre, mais à vous attendre à. Vous savez comment faire avec la main pour semer. La révolte, la misère, ou la liesse et la richesse.

Le Paradis est supprimé et la terre reste. L’espace paradisiaque ne sera pas donné à bail cependant.

A vous également les lieux saints ; à vous de voir si vous voulez les conserver, ou reconvertir l’espace qu’ils occupent ; dans l’un ou l’autre cas il n’y aura ni châtiment ni récompense, à moins que vous fassiez des lois dans tel ou tel sens ; mais en aucun cas une telle loi ne pourra recevoir le cautionnement divin.

Nous n’avons jamais soutenu ni l’Empire Romain ni l’Etat allemand ni l’Etat américain ni l’Etat pontifical ni l’Etat juif ni l’Etat iranien ni aucun Etat du monde. Nous souhaitons que les mentions de ce genre soient retirées des Constitutions comme elles vont l’être des cœurs, dans deux jours ; néanmoins, aucune mesure d’encouragement ou de répression ne sera prise ; si une telle mention est maintenue, que l’on sache à partir de maintenant qu’elle ne possède pas de référent. Aucun hérétique n’a été brûlé avec notre caution, mais seulement avec la vôtre ; vous signez. Celui qui meurt sur la chaise texane meurt sans notre aval, même si nous sommes joyeux de l’accueillir une fois que vos miracles électriques ont été envoyés au siège de métal.

Image

En notre divine miséricorde, dans deux jours nous prenons sur notre omnipotence pour modifier notre image. L’homme ne ressemblera plus à Dieu. Il sera possible de prononcer une phrase telle que “ Nous fûmes conçus à l’image du Seigneur ”. Mais que l’on se représente bien dans sa tête que cela n’est et ne sera jamais qu’une phrase de plus à dire ou à taire ; à vous d’en juger la qualité esthétique, morale ou tout ce que vous voulez.

Dans deux jours, il vous sera absolument permis, sans que cela prête aucunement à conséquence, de vous salir, de vous grimer, de vous enlaidir, de vous prostituer. Vous ne devrez plus, le cas échéant, vous sentir en quelque façon “ traître à la face du Seigneur ” ; celle-ci aura radicalement changé. Quiconque bénéficiera d’un visage ou d’un corps modifié par les moyens humains d’intervention sur les tissus, la peau, la graisse, les os, que ce soit pour en ajouter ou pour en enlever, et se regardant dans une glace, pensera qu’ainsi il est “ plus à l’image de Dieu ”, cette personne n’aura ni tort ni raison, et cela ne constituera, en fait de fait, qu’un fait linguistique. Vous ne devrez pas avoir peur de vous cloner, de vous manger les uns les autres, de vous fabriquer des enfants ou des parents sur mesure ou encore de modifier la nature autour de vous, par exemple pour l’exploiter, la protéger ou la détruire ; en aucun cas il n’y aura pour cela châtiment ni récompense. Quand dans deux jours, vous aurez oublié Dieu, essayez néanmoins de conserver en mémoire ceci : le visage de Dieu a changé, il ne vous sourit pas, vous n’êtes pas faits à son image et à sa ressemblance.

Les morts

Le temps n’est pas supprimé. S’il vous pesait, il vous pèsera longtemps encore ; s’il vous avantageait, il ne s’arrêtera pas dans son élan. Vous serez encore soumis à la croissance et à la dégénérescence, mais précisons : jusqu’à nouvel ordre ; et précisons encore : par la présente, vous vous portez garants de ce nouvel ordre. Vous édicterez les nouvelles lois. Si vous parvenez, en investissant suffisamment de monnaie humaine, temporelle et financière, à supprimer la dégénérescence et la mort, ou à accélérer la croissance, il ne sera rien fait contre cela. Vous vous en occupez de fond en comble. Cryogénisez, momifiez, remplacez les organes et corrigez les patrimoines : le temps n’est pas supprimé. Vous pouvez changer votre rapport : rien à signaler.

Mais sur le sujet des ossuaires, ceci : les ossuaires, rien ne viendra les visiter comme il était prévu au jour du Jugement, que vous ; vous seuls verrez les restes humains entreposés là, dans l’attente, mais rien ne viendra plus pour eux, ils n’auront plus jamais l’occasion de sentir la chaleur du flux sanguin les environner de nouveau. Les os, les chairs séchées ou pourries, reprenez-les si vous voulez, essayez de les ranimer si vous voulez ; mais les personnes que nous conservions par-devers nous, nous ne nous en occupons plus.

Le cœur

Vos actions ne seront plus, ne demanderont plus à être, et auraient tort d’être effectuées pour être, jugées par votre Dieu. Dans deux jours, un changement de taille se produira dans votre cœur, mais il vous paraîtra infime au point que vous ne l’éprouverez même pas. Nous rajouterons des impuretés dans le métal que nous vous avions purifié : l’argent, l’or, vous aurez 90% de charbon de bois dans vos cœurs ; vous serez morts à nouveau, et libre à vous de choisir la composition chimique exacte de votre cœur. Depuis longtemps vous avez cru en une pesée de l’organe qui vous défonce la poitrine dans les moments de joie et les instants de peine ; par cet acte de parole, nous détruisons la balance et mettons fin au système de mesure qui vous a été progressivement enseigné. Les notions de “ Bien et Mal selon l’évangile ”, ou d’“ acte selon l’Amour ”, ces notions n’auront plus cours sur le marché international. L’Etat céleste prononce aujourd’hui sa dissolution, et avec lui tous ses moyens d’action concernant l’homme. La loi terrestre subsiste ; libre à vous de conserver ou de supprimer, selon le lieu où vous êtes, l’interdiction du crime, l’encouragement à l’entraide et au respect d’autrui et de vous-mêmes, les peines contre le viol ou le travail des enfants et autres.

Nous nous dégageons absolument de toute possibilité d’intervention au sein de votre vie affective ; vous pourrez croire avoir été illuminé, mais cela n’arrivera pas ; votre colère, votre angoisse, votre liesse, votre extase, votre plénitude relative, votre tristesse, vous les situerez par rapport à des causes médicales que vous aurez ou non précisément découvertes et étudiées ; vous prendrez sur vous de fabriquer ou non, pour des raisons de rentabilité ou de philanthropie, les remèdes, ou au contraire les stimulants adéquats.

L’intégrité

L’intégralité des constituants de votre personne vous est laissée, ainsi, ni la faculté intellectuelle, ni la faculté esthétique, ni la faculté émotionnelle, ni la faculté perceptive, ni aucune autre faculté, ne vous est retirée. A l’homme lui-même, il ne sera rien pris. Si vous voulez vous mutiler, vous trancher les membres du corps, ou si vous voulez jouir tout le temps, libre à vous.

Cependant Dieu sera démantelé ; dans deux jours, je serai vidé de toute puissance surnaturelle originée dans le Seigneur ; en conséquence, l’Esprit saint ne sera plus d’aucun secours ; moi n’existant plus, les communications avec le Seigneur seront coupées. La trinité aura vécu. Tout ceci prendra effet en une certaine heure, dans deux jours, dans soixante-douze heures au maximum. Entre temps, il ne sera plus rien donné.

La présente Révélation perdra toute nature et toute fonction au même moment. Que cela soit dit.

Sans rancune

En aucun cas la présente dissolution de la Révélation ne pourra être tenue pour punition de l’incroyance généralisée de l’homme ; vous savez bien que cela fait un moment que nous ne fonctionnons plus comme ça, depuis le jour où vous vous êtes de plus en plus affinés comme des trésors humains. Nous n’instaurons pas la géhenne sur la terre, et si, en effet, le présent acte n’est pas sans rapport avec la réalité de votre vie sur la terre, il ne doit pas être vu comme une sanction, mais bien plutôt comme une conséquence assez peu prévisible compte tenu de la faible probabilité que vous aviez fini par accorder à notre simple existence. Au contraire, voyez (et essayez de vous en rappeler dans deux jours, même s’il est vrai que ce sera sans doute devenu impossible) voyez dans la suppression de la Révélation donnée en l’année dite “ 0 ”, plutôt un acte de notre charité et miséricorde, pour lequel nous ne demandons aucune reconnaissance, sans qu’il constitue en retour un quelconque “ acte gratuit de Dieu ”. L’acte est justifié, et se comprend par rapport à l’allègement radical de notre présence sur la terre, et au besoin de suppression du choix existentiel et métaphysique dont il a été parlé plus haut ; par lui, il vous est évité de douter et également de ne pas croire, le désagréable contrecoup (pour vous comme pour nous) en étant qu’il ne vous sera plus donné de croire. Ceci étant précisé, nous vous prions de nous excuser de la relative violence avec laquelle tout ceci est présenté, même s’il est vrai que nous avons pris nos mesures afin qu’il n’en restât plus guère trace dans deux jours. Vous n’avez pas perdu le ciel : il est rempli d’étoiles. Vous avez peur et moi aussi. Vous apprendrez vite à revivre

Départ

Puis il leur dit “ adieu ”, et il quitta l’endroit.

V. Jésus vide, et ferme, Paradis et Enfer

Ciel

Puis Jésus monta au ciel à partir d’une autre ruelle qu’il avait rejointe en courant, pour qu’on ne puisse pas le suivre et pas le voir, et son ascension était fulgurante. Il arriva au Ciel et tous s’inclinèrent.

Enfer

Il alla vers l’enfer et regroupa les damnés, qui venaient juste d’arriver et avaient vécu une éternité de souffrances en un laps de temps très court, et qui de ce fait, s’apprêtaient à gagner le Paradis. Et ils s’agrippaient à lui avec leurs morceaux de viande putride et ils lui demandaient pardon et ils le glorifiaient et lui disaient “ Pardon, Seigneur, de t’avoir ignoré dans l’autre monde, et merci, merci, de nous avoir sauvé en celui-ci. ”

Et il leur répondit : “ Damnés, en effet vous voici remis, et vous n’êtes pas restés longtemps, et j’en suis heureux, croyez-le. Mais vous n’irez pas au Paradis. ” Et ils le regardèrent à nouveau cette fois avec méchanceté, et lui dirent : “ Seigneur ! nous sommes pardonnés ! maintenant nous croyons ! Pourquoi n’irions-nous pas ? Nous sommes justes maintenant. ” Et lui : “ Si vous voulez, venez avec moi, je vais au Paradis ; mais vous n’y serez pas longtemps. ” Ils n’écoutèrent pas cette dernière phrase et se réjouirent, et crurent bon de le glorifier.

Et une fois sortis ils apparurent tous avec la robe blanche des anges et ils n’avaient jamais péché. Ils se prenaient les uns les autres dans les bras et s’adressaient des sourires mutuels ; jamais ils n’avaient été aussi ravis.

Et Jésus les fit tous sortir de l’enfer et il éteignit le feu, puis il ferma ses grandes portes de fer qui donnaient sur l’abîme de feu sans fond, et il détruisit ce lieu. Et ils se dirent : “ C’est le Jugement ! ” Et il leur dit : “ Non. ”

Paradis

Et il entra au Paradis suivi par les damnés qui étaient aussitôt devenus des bienheureux, et il rassembla tous les bienheureux autour de lui, et ils s’arrêtèrent de manger leurs délicieux fruits spirituels, car ils avaient compris qu’il venait leur parler.

Et il leur dit : “ Bienheureux. Votre éternité par ici prend maintenant fin. Abandonnez tout de suite vos vêtements d’anges lumineux, et suivez-moi, nous sortons. ” Et ils lui dirent “ Seigneur ! Nous ne voulons pas sortir ! Nous avons gagné ce lieu et ce temps, et pour rien au ciel nous ne voudrions le quitter ! Ce n’était pas dans la Révélation. Est-ce le Jugement ? ” Et lui : “ Ce n’est pas le Jugement. Et en effet ce n’était pas dans la première Révélation, mais c’est dans la deuxième. Sortez. ” Et ils se débattirent et ne voulaient pas sortir, mais Jésus rassembla de la force et quelques anges qui en avaient encore, et ils les firent sortir, nus. Et aussitôt qu’ils furent sortis ils tombèrent en poussière et une pluie noire tomba sur le monde terrestre ; où l’on s’inquiéta de l’abondance de cette pluie de poussière, après quoi l’on en conclut par l’effet d’un grand vent dans les déserts. On se remit à travailler, à marcher ou à lire. Au ciel, Jésus ferma les douces portes de plume du Paradis, et détruisit le lieu. Il dit : “ Maintenant, c’est accompli. ”

VI. Retrait du Christ. Il part

Et il redescendit sur la terre et deux jours avaient passé.

Et sur la terre près de lui les disciples ne l’accueillirent pas, car ils ne savaient où il avait pu passer. Et il y eut des actes et ceux qui avaient entendu la parole avaient commencé à essayer de la dire à tous les autres, ils prenaient quelques vêtements ou rien et quittaient leurs domiciles, les squares et les lieux de travail, dans le but d’aller parler avec les autres, ils marchaient, ils sortaient dans les rues où entraient dans des maisons, puis ils rencontraient des humains seuls ou en groupe et ils se plaçaient devant eux, réfléchissaient, enfin ouvraient la bouche et des mots en sortaient, des mots comme “ j’ai marché longtemps, j’ai faim aujourd’hui, mon bras est cassé, il y a quelque chose là-bas ”, ils disaient cela et les conversations détournées s’engageaient, et parmi ceux qui s’étaient aperçus de quelque chose, ils s’étonnaient, ils disaient, S…, S…, ils disaient : que m’arrive-t-il, on leur posait la question : que vous arrive t-il ?, ils disaient, oh, rien, vous savez, qui êtes-vous, puis ils rentraient chez eux, tous se rappelaient ça : où j’habite, où je vais physiquement, ils se rappelaient, la terre était pleine de souvenirs, puis les disciples étaient assis chez eux, ou sur un canapé, ou sur un fauteuil de bureau, ou ils étaient debout aux champs, ils travaillaient, ils regardaient et il ne se passait rien de spécial.

Le Christ était alors revenu, quelqu’un tua quelqu’un, quelqu’un eut une mauvaise pensée et la réprima. Il était 5 heures de l’après-midi et le Christ était là.

Et à un moment donné ce jour-là il fut vidé de toute divinité. Il tomba puis il se releva.

Il erra dans Jérusalem et croisa quelques unes des personnes qui l’avaient vu une fois pendant qu’il parlait. Et elles le décrivirent plus tard comme quelqu’un qui semblait bouleversé, et elles lui dirent “ Seigneur ! ”, et lui les regardait d’un air hagard, il ne savait même pas de quoi elles voulaient parler. Et elles l’interrogèrent et lui demandèrent “ Tout est-il accompli ? ” et il ne sut pas quoi répondre, non qu’il fut privé de la parole, car au contraire il parlait même beaucoup, mais les personnes qui le virent alors le décrivirent plus tard comme “ pris par une sorte de délire ; en effet il discourait à propos de choses incohérentes et mentionnait des lions et des bouquetins, parlait d’un feu de bois et disait qu’il voulait mesurer un corps humain pour en revoir les belles proportions, ou quelque chose comme ça, il disait qu’il ne savait pas pourquoi il voulait mettre sa main dans sa bouche, qu’il avait l’impression d’avoir du sucre roux au bout de la langue, et après un moment il dit même qu’il ne se rappelait plus que de très peu, puis de presque rien, puis il ne fut même plus, pour lui, question de se rappeler quelque chose (et on lui demanda “ mais de quoi vouliez-vous vous rappeler tout à l’heure ? ” et lui ne comprenait pas la question) ”, peu à peu on se désintéressa de lui et il resta seul, il marchait. Il se dit qu’il lui fallait apprendre un métier, trouver un logement et prendre femme. Bref, c’était un homme. Il mourra prochainement.

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