Clore la révélation (Dieu nous dit au revoir)

« Ne vous inquiétez pas, il ne vous sera fait aucun mal. Ne vous réjouissez pas : il ne vous sera fait aucun bien. »

Ludovic Bablon, Evangile final: La colère

 

En droit, le dernier

Il vient de paraître un texte, Evangile final : la Colère. Un évangile. On pourrait presque dire un énième évangile, encore un rappel nostalgique de ce personnage du Christ. On a vu des Christs apparaître à toutes les époques, dans tous les pays. Mon évangile se place dans cette riche et stupide histoire des contrefaçons, mais, en droit, à une place de choix : il veut être le dernier témoignage de la dernière parole ; et cet parole est un au-revoir.

Cette fois, il ne s’agit pas de venir répéter une séquence précise ou inventée du nouveau testament, de proposer de nouvelles hypothèses pour interpréter ce qui s’est peut-être passé, de révéler que Jésus était une femme, un grec, un ours blanc, un homme. Il s’agit d’interdire toute nouvelle référence au christianisme.

 

L’auteur

Les premiers évangiles, d’après la Tradition, étaient co-écrits : rédigés à l’instigation d’hommes (Mathieu, Luc, Marc, Jean), mais co-écrits par Dieu. Ici, l’Evangile final est rédigé sur mon initiative, mais co-écrit par l’absence remarquable de Dieu.

L’absence du Seigneur se repère partout, nul besoin de la décrire. Par contre, il faut connaître mon profil, religieusement parlant : Personnellement, je n’ai jamais grandi dans une éducation religieuse. Un ami que j’ai y a passé 23 ans, côté protestant radical, et est arrivé à la conclusion suivante : la foi lui a lavé le cerveau. Moi, parti de l’autre bout, j’ai éprouvé quelquefois le regret de la simplification métaphysique qui a Dieu pour Nom. Une double tension veut que, d’une part, je n’ai jamais senti même rien qu’un semblant de foi, et ai toujours été au courant du décès du Seigneur (la nouvelle avait fait son chemin dans mon entourage dès mon enfance), tandis que d’autre part, je ne pouvais pas envoyer tout cela aux oubliettes tout de suite, puisque lisant la Bible, Nouveau Testament surtout, j’étais séduit. Donc pas de souvenirs enfantins d’images pieuses, de goût d’hostie ; je n’ai jamais prié. Mais une vaste inquiétude à l’âge adulte. Une sensibilité sans racines.

 

Enjeux

L’Evangile final est une enquête sur les conditions d’une disparition.

Le christianisme n’est pas mort de sa belle mort : il a agonisé près de nous pendant des années, et tout le monde a fait semblant de ne pas remarquer la nécrose. L’Evangile final désire passer pour le dernier message chrétien, un message de pardon : pardon aux incroyants. Il essaie de faire honneur au fait religieux, en y intégrant l’athéisme : d’après cet évangile, l’athéisme est ce qui pousse Dieu à disparaître, à se cacher encore un peu plus.

Imaginez : on vous informe qu’un peu plus tôt, vous formiez, avec quelqu’un, un couple ; et dans la même phrase, on vous dit que votre conjoint(e) a soudain disparu, brutalement : un beau jour, il ou elle n’est pas rentré(e) à la maison. Etrange. Mélancolie. Disparitions politiques en Amérique du Sud.

Je n’ai pas de goût pour les ruptures sales ou le travail de deuil mal effectué. Je préfère liquider moi-même les questions qui ne se posent plus, les personnes absentes, autrefois si vivantes. L’intérêt de mon évangile final est donc de se placer à nouveau au cœur de la question, de reconnaître le Christ vivant, et de le liquider proprement. De dire au revoir de l’intérieur même du christianisme, et de refonder sur des bases saines.

On a dû faire face à la situation traumatisante suivante : disparition d’un Dieu qui, auparavant, occupait le centre de la vie. Il est parti sans dire au revoir. L’évangile final est le discret message que la fiction lui fait laisser sur la table au moment oú il quitte la pièce. Il est parti sans s’expliquer, l’évangile final explique et officialise son départ. Il signe a posteriori ce document juridique, sa déposition. Après la Révélation antique oú il nous faisait lire comment vivre avec lui, il nous apprend maintenant à faire le deuil de lui.

 

Christ, Dieu, homme

Dans les premiers évangiles, Jésus était verus homo, verus deo, en train de monter vers le ciel et de rester Dieu. Ici, il redescend pour cesser d’être Dieu. L’élégante figure parabolique des premiers évangiles est remplacée dans le livre par une courbe simple, laide, une descente sans pendant symétrique.

On a noté que la personne de Dieu était curieusement absente de mon évangile. En effet, il est mort. Il a aussi envoyé son fils mourir : c’est lui qu’on voit.

La question de Dieu n’est pas tranchée, j’ai eu le plaisir de la laisser en suspens. Ce qui est supprimé, c’est la Révélation, la possibilité de croire autrefois dressée en forme d’évidence. Rien n’est dit sur Dieu le père, le destin de l’âme etc. ; par contre, tout ce qui était aménagé pour l’homme disparaît. Un esprit pervers pourra toujours supposer que cette ultime révélation ment, qu’Il n’est pas mort et que son Père ne nous abandonne pas ; reste que le texte, lui, le prétend. Il n’interdit pas une ruse divine. Il ne la laisse pas non plus supposer.

 

En somme, l’Evangile final stipule que Dieu a justifié sa mort, et que nul n’est censé ignorer cette nouvelle loi rendant l’athéisme obligatoire.

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