Téléculture. Dissertation légère et enlevée

Je sens que vous mourrez d’envie que je vous fasse un petit point sur la représentation de la culture à la télé, pas vrai ? Bon, ok, puisque vous insistez. Comme je suis étudiant, j’annonce mon plan. Alors voilà. Il y aura une première partie, puis une troisième, mais entre les deux, s’intercalera une autre, que l’on pourrait nommer deuxième, c’est du moins ma proposition, je ne sais pas si je me fais comprendre. Je ne sais pas non plus s’il y aura une conclusion. En tout cas, cette phrase-ci termine l’introduction, d’après mes calculs.

 

1. L’anticulture

Dixit Lesly du Loft (attention, le « de » n’est pas une particule de noblesse) : « Moi, j’ai pas fait l’ENA, mais ça n’empêche, je suis quand même formidablement intelligente, et je l’ai montré » (je devais pas être devant là télé à ce moment crucial où Lesly a ouvert sa coquille de noix pour dévoiler le ver).

Dixit le Bigdil, « comme quoi, on n’a pas besoin d’être à bac+3 pour comprendre la vie ».
Dixit les greluches à C’est mon choix, « Moi, j’ai pas fait d’études, mais n’empêche, le ver de terre qui peuple ma tête a déjà atteint une taille conséquente ! »

Et ? Rien que ça, où l’enseignement scolaire passe pour être la culture, où donc l’on voit que tous les gens qui n’ont pas lu Bourdieu ni rien d’autre confondent, sans scrupule, une chose qu’ils n’ont pas avec une autre qu’ils n’ont pas non plus, mais que Bourdieu et les autres savent bien distinctes ; où l’on voit que la culture n’est saisie que comme signe de supériorité sociale, vécue comme ignominie du faible, et retournée par le faible dans son désir de vengeance sur le fort.

 

2. L’info à la place de la culture

100% questions. Question pour un vieux beauf. QI. Qui veut gagner des briques. Le Maillet faible.

Où la culture passe pour une information à apprendre par cœur et recracher telle quelle, un moyen de l’emporter sur autrui et de s’enrichir ; un document secondaire à localiser (et non, comme il se devrait, à replacer de façon adéquate dans un raisonnement) ; bon, c’est qui le roi français du Moyen-âge qui est mort après s’être cogné la tronche dans sa cave ? Bon, compléter le proverbe, Qui veut la fin veut les… ? Bon, qui a découvert la radioactivité, hum ? Bon, est-ce que la connaissance est une partie de Trivial poursuit, répondez par oui ou non, vous avez 5 secondes.

 

3. La culture écran

Emissions culturelles – métropolis, Vol de nuit, émissions littéraires etc.

Où la culture cette fois passe un peu mais toujours comme document secondaire, toujours avec un écran devant. L’interview avec l’écrivain remplace la lecture et le texte (mais là c’est pareil partout, il faut des écrivains, mais on n’a pas besoin des textes), l’entretien filmé avec le cinéaste remplace ses images, ou aussi bien (émissions-reportages style Métropolis), d’infimes fragments des œuvres (ainsi, un travelling à faire vomir sur une page de texte, pour dire en somme qu’il y a du texte, bien qu’on n’en puisse rien lire ; un zoom très fort sur un détail de tableau, pour dire que la peinture se vend encore, et on ne verra jamais le tableau en entier (ou ils mettront un filtre rouge par-dessus pour bien saper la couleur…) remplacent leur intégralité / intégrité.

 

4. La vraie culture

Où l’on voit enfin, ouf, ah, de la culture primaire, avec le vrai gars et la vraie œuvre, dans des émissions (toutes sur Arte) comme :

Le dessous des cartes (géopolitique)
Palettes (peinture)
Contact (photographie)
Danse et Musica.

Manque toujours une vraie émission littéraire, qui serait de la radio, où on lirait des textes.

 

5. Des hommes libres

En fait, la culture est très présente à la télé, mais toujours sous une forme détournée : comme élément dans le discours du faible, comme parodie en tant qu’information par-cœur sur le mode scolaire (ces crétins croient encore que la culture est celle du banc de l’école…), comme démonstration fragmentaire substituant l’auteur ou la partie de l’œuvre à l’œuvre.

Alors, c’est quoi la culture ? C’est l’intégralité de ce que fait un homme libre. Dans le Loft, dans C’est mon choix et ailleurs, on voit les individus patauger dans leurs fausses représentations, le malheur complaisant, leurs justifications sophistiques (le sophisme est la chose du monde, semble-t-il, la mieux partagée) ; on les voit mimer, de temps en temps, un comportement intelligent, par exemple d’apprentissage, mais qui se dénonce aussitôt de lui-même – ce n’est qu’un signe.
En réalité, les conséquences de la culture ne peuvent pas se montrer dans des signes discrets et très localisés ; elles infusent tout le comportement de l’homme libre (ou de la femme libre, ou de l’enfant libre, ou de la vieille femme libre, ou du chien libre). La réflexion sur Kant nourrit ma sexualité. DeLillo me réconcilie avec le beurre. Nietzsche éclaire ma vie corporelle. Lawrence (T.E. et non D.H.) magnifie ma façon de faire du sport. Leroi-Gourhan dégage mes bronches. Marx me pousse à gérer autrement ma fourchette. L’ethnologie me rapproche de l’Occident (de qui j’aurais tendance à m’éloigner). La culture détermine une façon d’être quasi-infilmable (sauf par le cinéma. Par Wenders. Par Lars. Eux peuvent le faire).
Le style de vie de l’homme libre n’est filmable qu’en plan lointain, en pas du tout en zoom, plan rapproché, gros plan ; la culture n’est pas savoir que, mais comprendre et être étonné (on ne peut pas faire un jeu télé sur l’impression d’étonnement, en conséquence de quoi on base l’émission sur l’illusion de savoir substituée à l’impression de comprendre). Une constante chez les hommes libres (contrairement aux démocrates égalitaristes), est qu’ils ne recherchent pas l’égalité à tout prix, mais au contraire apprécient les dissymétries qui créent les différentiels (les différences de potentiel) qui font avancer. Un homme libre comme Lawrence (T.E, pas D.H.) s’engage dans la troupe, car il aime obéir. Un homme libre comme Wittgenstein ne craint pas une relation disciple/maître avec Russel et Whitehead. Un homme libre ne dit pas « je fais ainsi, because it is my dirty little ugly choice », il dit, « ach, könnte ich es probieren ? » (oui, l’homme libre parle l’allemand comme deuxième langue). Et franchement, la culture n’a rien à faire avec les signes sociaux ni avec les informations parcellaires, en conséquence de quoi, elle ne passe guère à la télé que comme parodie ou malentendu. C’est moi qui le dis, donc c’est vrai. C’est ma phrase de conclusion. 2/20, merci.

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