Nouvelles plaisanteries institutionnelles

Dans le cas où vous ayez adoré les quelques « il était une fois un prof » des « 21 propositions sur l’enseignement« , en voici quelques autres toutes fraîches.

La première blague met en scène une prof de Lettres de l’Université Paul Valéry à Montpellier, qui fait son cours sur de la littérature  » assez contemporaine  » (sachant que contemporaine signifie pour eux « avec 30 ans de retard » ; soi-disant l’objet ne peut pas être constitué en objet d’étude s’il est trop récent ; du genre, ne lisez pas ce livre, il vient d’être publié : vous le lirez dans 10 ans, quand l’auteur sera mort); qui fait son cours sur, par exemple, Thomas Pynchon et Claude Simon (Bonnefoy aussi, mais ne parlons pas des faibles).

Or, il est une fois une étudiante qui s’intéresse à ce genre de choses (je veux dire, qui cherche à éviter Zola), et qui donc, arrivée en Maîtrise, choisit cette prof pour diriger le mémoire qu’elle entreprend de rédiger sur Orion aveugle de Claude Simon.

Or, cette Maîtrise a été soutenue il y a quelques jours (j’écris ceci le 11 octobre 2001), et a obtenu une mention BIEN. Bien, et pas TRES-BIEN ; et c’est ici (suivez bien) que ça devient très drôle. La notation de la prof aurait pu passer pour excellente, si toutefois le terme « excellent » avait signifié  » exécrable  » ; car la prof, en donnant la note, a donné ses raisons, que voici :

1/ Bien et pas Très bien, parce que – accrochez-vous à votre chaise – il a subsisté dans l’esprit de la prof (dit-elle) un léger doute, sur l’authenticité du mémoire de l’étudiante : l’avait-elle fait toute seule ? ne s’était-elle pas fait aider ? L’étudiante, devant cette demande proprement hallucinante, a étouffé un rire qui ressemblait à un sanglot ; bien entendu, elle l’avait fait seule ! et ta race, elle s’est faite seule, ou des mongoliens l’ont aidée ?

Donc première conclusion : quand une prof tombe sur une TROP bonne maîtrise, elle suspecte son auteur de ne pas être son auteur ; si c’est médiocre, vous l’avez faite ; si c’est excellent, vous vous êtes peut-être fait aider, donc mention bien et pas très bien, CQFD.

2/ Bien et pas très bien, parce que – dit la prof – « c’est trop technique » ; or, qu’entend-elle par là ? Il faut comprendre la chose dans son contexte, et en rapport avec le style de la prof elle-même. Pour elle, quelque chose est de la littérature quand c’est de l’élucubration ; du coup, elle analyse (dans un cours intitulé « Passez maître en élucubration en 25 leçons ») l’écriture de Claude Simon comme « une écriture du trou », tout simplement parce que cette écriture est, au niveau narratif, fragmentaire, et au niveau thématique, infusée de notations sexuelles. La prof, autour de cette ressemblance de surface pour psychanalyste-amateur (elle se sent qualifiée parce qu’elle a lu et relu « Apprenez la psychanalyse en 0,02 leçons »), brode, non un napperon, mais toute une interprétation, qui se met à tourner (comme quand vous vous servez d’un napperon comme frisbee, quand le frisbee lui-même fait défaut) autour d’à peu près rien, que les impressions de la prof, qui a (on le sait par ailleurs) une sexualité un peu troublée (lesbienne complexée ; je ne plaisante pas !). Voilà ce qu’est la littérature pour elle ; de fait donc, un mémoire basé sur des démonstrations apparaît « trop technique » (la prof avoue elle-même (a-t-elle le bac?) qu’elle n’a pas tout compris ; ce qui me rappelle ce cas, où un prof de philo avait accepté d’entendre un exposé sur Walter Benjamin : il s’est avéré ensuite qu’il ne connaissait pas cet auteur ; il a mis une bonne note ; en complète inconnaissance de cause, par conséquent, puisqu’il n’était pas en mesure de dire si telle ou telle théorie rapportée, citation, interprétation, était correcte ou non). Et ledit mémoire prend bien et non très bien.

La deuxième blague, c’est moi qui vient de la vivre. Je suis inscrit en Maîtrise de Science de l’information et de la Documentation à Lille III. Je ne parlerai pas de ce qu’on a commencé à « apprendre », puisque pour l’instant, je n’ai rien appris : le binaire, le terme « browser » en anglais, ce qu’est un thésaurus, ils ne se sont pas inquiété de savoir si je connaissais déjà tout cela ; on est un peu plus de cent, et on mange tous au même râtelier ; j' »apprends » donc l’existence de Dreamwaver (on écrit son nom à la craie au tableau noir), alors que ce site est fait avec. Niveau validation des acquis, c’est un peu faible.

Non, en fait, la grosse blague, c’est celle-ci : à Lille III, comme ailleurs, on a une BU, bibliothèque universitaire ; et, ô miracle sublime, cette BU contient une salle « nouvelles technologies » – nom pompeux, qui dit, non pas qu’on y fabrique de la fibre optique haut-débit selon des techniques éléctroniques de pointe, mais simplement que cette pièce contient des animaux bizarres appelés « ordinateurs » (on nous apprend que « ordinateur » se dit « computer » en anglais – notez-le, ou vous l’oublierez) ; par ailleurs, les profs de doc ont la bonne idée de nous donner leur mail, pour qu’ils puissent nous transmettre des infos et qu’on puisse leur en demander. Alors moi, qui suis un gentil élève, travailleur et tout, je vais à la BU, salle nouvelles technologies, et paf, je vais pour me connecter (puisque je n’ai plus internet à domicile) ; et là, j’apprends… que l’e-mail est interdit !!!! Ah ah ah, on rit énormément, à vrai dire, notre ventre en craque. Voilà, pour une fois que les profs acceptent, et même encouragent, l’informatique, le contact direct, c’est la BU qui fout son boxon, et nous dit, en gros, vous n’avez qu’à être assez riches pour vous payer les cybercafés ou internet at home. Enorme, non ?

Du coup, quand j’entends parler de l’effort fait par l’éducation nationale pour s’informatiser, c’en est fini pour mon ventre. La priorité à l’informatique, c’est de la connerie ; l’informatique pour tous, de même ; j’ai qu’à aller à la BM, bibliothèque municipale ? Mais là, c’est sur rendez-vous… et il y a deux postes (la Communauté Urbaine de Lille compte plus d’un million d’habitants).

Pour clore le tout, une autre salle informatique a ouvert il y a quelques jours, avec une dizaine de postes; le mail est permis cette fois, ô splendeur de l’intelligence pratique; mais problème: ça rame complet, on nous a refilé des sous-pentiums, on se croirait sur MO5, cadencé à 2hz/heure avec 1 octet de mémoire vive.

Allez, une dernière, puisqu’on est lancé : cette fois, c’est à propos de la politique culturelle. J’arrive à Lille, paf, après avoir déménagé ; j’y arrive sourire aux lèvres, car j’ai la conviction que c’est une grande région de culture, qu’il va y avoir plein de gens etc. Alors, je prends mon annuaire, et je cherche « CRL », Centre régional du Livre, avec l’idée d’aller y chercher des infos, voire du fric. Et… je ne trouve pas. Bizarre… Je cherche DRAC, Direction régionale des affaires culturelles, je trouve, j’y vais. Je demande, d’abord, l’adresse du CRL. Et on me répond… qu’il n’y en a pas en Nord Pas-de-Calais. Je demande si on est en France ou au Gabon – on ne me répond pas. Pas de CRL dans la deuxième ou troisième région de France !!! 8-9 millions d’habitants, et pas de CRL !!! Alors je me dis que les deux personnes de la DRAC que j’ai en face de moi vont pouvoir me dire qu’elle remplace (la DRAC) le CRL en matière de livre, d’écrivains, de bourses littéraires etc… Mais, en fait, je comprends vite qu’ils ne savent rien, qu’ils ne sont pas en état de me renseigner sur les éditeurs, auteurs, traducteurs vivant ou en activité en Nord Pas-de-Calais, et qu’en gros, ils sont juste là pour faire joli (et ça marche pas, parce qu’ils sont moches).

C’était donc un petit aperçu de ce qu’on peut trouver en France en matière de

1/ performances du personnel de l’enseignement supérieur

2/ informatisation de l’enseignement supérieur

et 3/ politique culturelle.

Ais-je bien dit en France ? C’est sûr, ce n’est pas le Gabon ? Oui oui, c’est bien la France, la périphérie du monde, le Gabon blanc.

Faut-il se plaindre ? Juste un petit aperçu : de Lille, je capte à la télé les chaînes belges, dont la RTBF (1 et 2). Et je la regarde. En quelques jours : retransmission d’un concert de Björk ; films de création de qualité ; cours d’anglais ; films en anglais avec sous-titrage français ; et le must du must, une émission hebdomadaire sur le monde informatique, « Cybercafé 21 » , qui passe en revue, en alternance, ces quatre grands secteurs : l’informatique professionnelle ; les jeux ; la bureautique ; le net.

A Montpellier, j’avais pu installer une parabole : dans la nuit, émission de la RAI (je ne sais plus, RAI due je crois) sur l’informatique.

Et à la télé française, tout ce qu’on a vu, c’était une émission « jeun’s débile / Fun radio spirit » qui avait pour principe de montrer tout ce qui se fait de plus stupide et immature sur le net : happenings de jeunes cons qui font chier des gens, filment et diffusent en mpg un petit film montrant une femme à poil balançant ses gros nichons (séquence manifestement inspirée de l’esprit d’Arthur, l’animateur dit à juste titre « le plus con de la terre entière »).

Français, un effort ne suffira pas, il en faudra bien quatre ou cinq pour vous mettre à niveau.

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