Philippe Labro – Tomber sept fois, se relever huit – éditions Albin Michel

Se relever huit, s’avachir neuf

Tomber sept fois, se relever huit
Philippe Labro
Albin Michel
235 pages, 17 euros

 

Dans un récit journalistique l’émouvant patron de presse, d’un geste superbement complaisant, vient déposer un bouquet de chrysanthèmes sur sa propre tombe de Déprimé connu. Diagnostic : inerte.

 

Comme un Tartuffe qui aurait lu Molière, comme un Arnulphe qui singerait La Bruyère, voici que Philippe Labro, la phrase courte, le souffle terne, le verbe acéré à la meule de bois des poncifs éculés, déboule comme un train en panne dans la gare déserte de sa vie. Au début de ce seizième livre, il se réveille, « en nage » ; épris de beau style, il corrige aussitôt : « inondé » ; c’est mieux ? Tout du moins l’auteur aime signaler qu’il aime travailler la langue. Puis il nous informe du scoop : il était gravement malade. Altruiste, il veut maintenant, en rédigeant son témoignage, « aider celles et ceux qui sont entrés dans cette nuit du corps, cette nuit de l’âme, ce que l’on appelle, faute de mieux, la dépression ». Et de proposer que les lecteurs, en se reconnaissant, «demeurent ainsi ce que tu as souhaité qu’ils soient : ta sœur, ton frère».

Aux environs de 9h du soir de la nuit de l’âme, notre frère est au sommet de ses gloires : «Regardez-le se déplacer, le brillant journaliste, le sémillant écrivain, patron de médias, au contact des princes et des voyous de ce monde, regardez le gagneur, le gagnant, l’autrefois beau garçon, bel homme mûr aujourd’hui, celui qui a tout pour lui : une femme qui l’aime, des enfants qui s’épanouissent, celui qui a traversé l’Amérique, la guerre d’Algérie, les épreuves, une semi-mort à Cochin, celui qui a tout gagné, n’est-ce pas, tout ! » Mais toutes les bonnes choses ont une fin et l’auteur broie maintenant le noir du sable biographique avec lequel il cimente ses chapitres sans consistance. Chapitre : Je vais mal. L’homme brillant que j’étais connaît une panne sérieuse. Ma promotion à RTL est compromise. Ou : Le monde, méchant, est plein d’ambitieux qui veulent être Labro à la place de Labro. Ils échoueront. Ou : Philippe avait deux amis plus brillants que lui. Ils se sont suicidés. Philippe, décidé, prend un couteau mais ne se tue pas : il est fort. Ou : Un ami qui possède un bateau emmène Philippe se distraire aux Bahamas. Philippe va mal quand même ; la mer est bleue. Ou : En mangeant une tartine proustesque, Philippe retrouve goût à la vie ; il va pouvoir écrire des livres.

Las, las, qu’il rapporte avec une ironie à la Chateaubriand de salon les dialogues très vifs de sa saison en enfer : « Qu’est-ce que t’as ? » « Je ne sais pas ce que j’ai, mais ça va pas », ou qu’il évoque labrorieusement des scènes où des couples de quarantenaires friqués papotent en cercle dans des hôtels particuliers alors qu’à l’écart le noble patient remue un verre d’eau plate avec lequel il nous saoule, à aucun moment le récit des «souffrances du vieux Philippe» ne réussira à nous rendre frère l’homme qui, à la dernière page du livre, jette « la boîte de Lexomil, avec l’ordonnance, dans la corbeille de l’Hôtel Majestic, sur la Croisette, à Cannes, dans les Alpes-Maritimes, en France », l’homme reçu par le Président de la République, qui a pour ami « Alain M. », et dont la fille part étudier aux USA. Ne sera pas auteur non plus l’homme qui se roule dans la pompe sub-lyrique d’un « Les voix du néant sont muettes, comme les tombeaux ».

Huit rouleaux compresseurs insistèrent lourdement sur l’électroencéphalogramme horizontal du malade : à la fin, l’homme d’une épaisseur microscopique ne pouvait évidemment plus parler. Il constitua les pages d’un livre courtois, poli, gentil ; Napoléon en lui s’en déclara satisfait. Philippe Labro, morne plaine, repassa du monde des limandes aux sommets des grandes ventes via la Sélection du livre du mois. Il vit se lever une nouvelle aube de l’âme, sans finalement en avoir rien dit, de la dépression, sinon qu’il se réjouissait qu’elle se termine, afin qu’il nous la conte.

Le titre est beau. Il n’est pas de lui.

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