Mathieu Larnaudie – Habitations simultanées – « J’ai trop mal au cerveau » – Farrago – Léo Scheer

« J’ai trop mal au cerveau »

Habitations simultanées.
Mathieu Larnaudie.
Farrago / Léo Scheer
180 pages, 15 euros.

 

Regardez : à New York et en Europe, un jeune écrivain, une jeune peintre. Par exemple, elle lui a écrit une lettre, le 12 janvier 1996. On la découvre par fragments : p 9 (texte à trous), p 105 (partie gauche cachée), p 138 (fragment comme une fenêtre horizontale). Autre chose : p 69 on lit le seul mot « avec », au centre, entre parenthèses ; p 133 on retrouve un série anaphorique en « avec… », « avec un sujet sériel, avec de faux prétextes, avec Mona qui me regarde« , etc. P 136, on est ramené à quelque chose qu’on a déjà entrevu p 81, un poème qui se passe à l’angle d’une rue à SoHo. Tout le livre est à l’avenant ; formaliste, complexe, lacunaire et répétitif, avec des airs de techno ou de Variations Goldberg, la reprise de motifs et de leitmotivs. Et vous savez pourquoi ? Parce que Mona est morte (sans doute la lettre du 12 janvier est sa dernière), et que le narrateur écrivain n’a que ça pour refaire une mémoire : pas si formaliste.

Somme toute, « Mona se suicide » est une phrase trop simple ; dans ce premier roman plutôt brillant, Mathieu Larnaudie recherche donc tous azimuts (dont quelques impasses) le moyen de traiter le deuil, et aligne les doubles pages de phrases répétées, les collages, les fragments discursifs, narratifs et descriptifs, les jeux de corps et de dispositions typographiques (gras, italiques, souligné, corps 8, 10, 12), pendant 47 « dispositifs » juxtaposés. Colligeant cette matière éparse, le lecteur averti devra reconstituer lui-même cet amour fait d’art ici représenté par un art fait d’amour ; cette affectivité post-moderne, ce couple qui sautait comme un vinyle samplé, ressurgiront alors de sous leur forme d’anaphores, dialogues remémorés, évocations sexuelles. « J’ai trop mal au cerveau« , disait toujours Mona la difficile. Pour avoir mal lui aussi, l’écrivain-narrateur s’est râpé les méninges, et a sorti cette prose qui tourne en rond, en boucle, en dérision, et qui se commente sans cesse parce qu’elle n’atteint pas son objet – défunt.

Résultat, un livre libre et enthousiasmant, dont on saute quelques pages et dont on lit avidement beaucoup d’autres.

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