Frank Lalou / Albert Woda – Tes seins sont des grenades – Editions Alternatives

Tes seins sont des grenades

Tes seins sont des grenades
Frank Lalou / Albert Woda
Editions Alternatives (5 rue de Pontoise, 75005 Paris)
115 pages, 20 euros

 

Shir ha shirim asher lishelomo en hébreu,Cantique des cantiques du Roi Salomon en français, Frank Lalou, dans un livre illustré, érudit et poétique, fait retour sur ce curieux poème-phénomène de la tradition judéo-chrétienne. Un régal.

 

« Qu’il me baise des baisers de sa bouche » : un texte avec un incipit aussi clair n’était peut-être pas fait pour s’intégrer à divers corpus sacrés, et pourtant le Cantique est un des morceaux les plus commentés de l’histoire religieuse. Après des années de travail sur le texte et ses foisonnantes interprétations, Frank Lalou rassemble les données, et nous les livre au milieu de charmantes illustrations érotiques, savamment griffonnées au trait, œuvres du graveur Albert Woda. Une traduction du Cantique datée de 1835 assortie de commentaires de mystiques, de Rabbins, de Pères et de Saints, des citations, des poèmes, des koans zen et des anecdotes personnelles, forment la riche matière de ce livre décidément hybride, entre érudition religieuse et prose poétique lascive.

Avec en plus une bonne dose d’esprit critique et de militantisme pour la vie d’ici-bas, le plaisir et la chair : ainsi quand Saint Bernard commente le passage «Tes deux mamelles sont comme deux faons jumeaux» par un docte «Les deux mamelles de l’Epouse marquent la congratulation et la compassion, suivant la doctrine de Saint Paul», Frank Lalou, sans douceur mais sans hargne, dénonce la récupération théologisante : non, l’homme et la femme en coït ne sont pas le Christ et l’Eglise en noces mystiques, mais bien «Des corps qui respirent, qui s’enlacent, qui se lèchent, qui se pénètrent, qui jouissent de tous les points G répertoriés dans les cadastres de nos sexologues modernes. Mais les Pères et les Maîtres chantent : CECI N’EST PAS UN CORPS.»

Tant qu’à faire, s’il faut lier Dieu et l’amour, l’auteur, en évoquant sa petite amie Dvorah propose sa propre version :

«Tout en fermant les yeux je vois les seins de Dvorah. Tellement je les ai caressés, sucés, malaxés, massés, contournés, entourés, soupesés, encerclés, écrasés, léchés, lissés, huilés, graissés, tambourinés, sculptés, étirés, compressés. (…) Dieu est assis au bord du téton durci de Dvorah. Il attend. Il est patient. Quel est l’obscène malade mental qui ne voit dans les seins qu’obscénité, que source de simple plaisir génital ? Qui n’accorde aucune confiance à Dieu dans sa faculté, non pas de se cacher, comme l’imaginent les Gnostiques, mais de s’offrir gentiment à qui s’émeut de l’autre. Dieu est assis tendrement sur les pentes des seins de Dvorah.» Oui aux organes, non aux refoulements et aux sublimations des lectures qui cherchent l’Esprit sous la lettre. Le corps, de la pureté liturgique à la Shoah : «Le Paradis ne veut pas de ces malades mentaux, obsessionnels qui se lavent les mains cent fois par jour, qui astiquent les poignées de leur voiture, les accoudoirs de leurs fauteuils. Pureté, pureté, combien de brasiers, combien d’autodafés, combien de tortures, combien de trahisons, de baisers de Judas, combien de peuples éradiqués, combien de juifs crucifiés ?» Vivant et attachant quand il étudie autant que quand il crée, l’auteur élargit ses réflexions à tous les horizons : la signification de la nudité juive, les hormones, respirer, la guerre, tes seins sont des tours, le taoïsme, la pleine et volontaire acceptation de nos belles chairs imparfaites lovées dans le texte et au-dehors.

Humain et divin, même amour. L’œil, le cerveau et le sexe se réjouissent.

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