Dai Sijie – Le complexe de Di – éditions Gallimard

Le Femina 2003 est une claque

Le complexe de Di
Dai Sijie
Gallimard
346 pages, 21 euros.

 

Rien qu’après le titre jeu de mots de dessous-les-fagots-du-ras-des-pâquerettes on a envie de refermer le Complexe de Di mais on l’ouvre. Et dès le départ ça attaque sec niveau indigence stylistique : «Une chaîne de fer recouverte de plastique translucide rose se reflète, tel un serpent luisant, dans la vitre d’un wagon derrière laquelle» etc. Tel un serpent luisant ? C’est vrai ? Et derrière laquelle quoi ? Derrière laquelle on dort déjà. On se réveille, on rouvre. Pendant des pages ça va continuer de suer à grande eau la platitude et la maladresse. « Tel un robinet ouvert, dont l’eau ne cesse de couler à flots, elle parle, parle (…)» Oui, répétons, répétons, et expliquons, expliquons ce qu’est exactement un robinet ouvert, avec des airs de collégien du premier rang dissertant son week-end. Franchement, si on connaît un peu le poids des mots, est-ce qu’on l’exprime en kilotonnes de plomb ? Sans scrupules :

«Il sait que les crabes sont là, monstrueux, armés de mandibules, de pinces géantes mais invisibles car cachées» Hé oui ! Dai Sijie a découvert les crabes dans lesquels on trouve des perles ; il poursuit en anaphore inutile : «Les crabes sont là (…) dans les trous des roches où les flots stagnent.» Sûr ? Les flots, ça stagne ? C’est pas censé bouger justement ? On en trouvera beaucoup dans le livre, des curiosa pareilles, ainsi ce papillon qui disparaît «dans un léger vrombissement, tel un hélicoptère minuscule». Ah ouais ? Le surréalisme c’est pas mieux quand c’est volontaire ? Mais laissons le style à sa veine très «à l’aide de ma bouche, je bois», laissons les tournures fades, le vocabulaire impropre et les terribles verbes mettre, faire, prendre, être et avoir de la «mallette du parfait petit scribe» : et si c’était un roman à enjeu narratif?

Un chinois francisé, Muo, revient en Chine pour retrouver sa petite amie Volcan de la Vieille Lune, et en revenant il… importe la psychanalyse. On ne comprend jamais vraiment pourquoi. Il est myope et vierge, il roule en vélo, et… Bah, et rien, il n’a absolument aucun relief, et les rares chiffes molles qui l’entourent, le Juge Di, l’Embaumeuse, ne vont pas nous exciter beaucoup plus. Quand au milieu du livre on aura une scène de dépucelage ça dira «Elle prend un morceau de papier, se baisse et essuie un filet de sang le long de sa jambe. Puis, avec un autre papier, elle essuie des restes de matière séminale sur la peau de Muo. » Elle prendpuis,matière séminale. Ok, le lecteur jouira une autre fois, là il cuve son Lexomil. En fait, heureusement que cette intrigue sans queue ni tête et inintéressante au possible nous est résumée en quatrième de couv par un éditeur soigneux, sans quoi on n’aurait pas pu dire de quoi ça parlait. Ni grandes scènes, ni mouvement, ni suspense. La vie ralentie de l’œil darne d’un crabe inerte dans une eau morne. Un narrateur cagneux nous tire comme un âne en peine, nous, mal ligotés derrière sur un mauvais chemin rural ; on a le cul dans la boue, ça n’avance pas, le paysage est sale, on doit toujours courir après le récit pour le supplier de nous captiver, et à chaque page il nous repousse d’un genou vulgaire. Un livre qui ne nous aime pas.

Un auteur qui ne nous tient pas en haute estime non plus parce qu’il ose, ce fat, placer éparses dans des dialogues creux de brillantes informations comme «Je vais vous raconter une histoire à propos de Voltaire, un philosophe français du XVIIIè siècle.» Merci pour l’incise. Il réitère : à la question « Qui est ce Freud ? » Muo répond «Le fondateur de la psychanalyse. Un juif comme Marx.» Instructif.

Le summum, c’est le traitement vraiment déplorable du thème psychanalytique – réduit à la mention à tout bout de champ et parfaitement superficielle des deux noms Freud et Lacan. On vous a menti, le Femina n’est pas un Prix, c’est une claque, et Dai Sijie a bien mérité la sienne. Pour assommer un auteur assommant, en somme.

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