Yann Moix – Partouz – éditions Grasset

Bouz !

Partouz
Yann Moix
Grasset
409 pages, 20 euros

L’idée du roman : Mohammed Atta s’est jeté contre les tours parce qu’il manquait de sexe. Ce n’est pas une idée ? Pas grave, ce n’est pas non plus un roman.

On ne peut pas rendre compte de ce livre en faisant comme si on y était rentré, comme si on l’avait vécu ; on n’y vit rien, que les artifices de conception habituels du genre journalistique-littéraire. L’auteur a d’abord sélectionné deux grands centres d’intérêt médiatiques et mondains : les nouvelles sexualités, sur le mode du sordide le plus gras, jusqu’à la couenne ; et le terrorisme musulman, via la figure de Mohammed Atta, sous l’angle du docu-fiction de gare. On sent qu’au fil de l’écriture, pour insuffler à l’ensemble dramatiquement inorganique un peu de vigueur, un fond, il a versé dans le délire personnel – en faisant mine par exemple de jouer l’ironie sur sa propre histoire sexuelle, piteuse, banale. Mais le caractère superficiel et massif de ses choix de sujet ; et la pauvreté mécanique de ses modes de tramage l’empêchent, totalement, de bout en bout, d’exprimer quoi que ce soit de valable, et sur le porno, et sur le terrorisme musulman, et sur la vie intime.

Au plan narratif, cet éjaculat de 400 pages repose entièrement sur deux maigres fils d’intrigue : 1/ Le narrateur devient partouzeur et cherche à baiser une femme arabe, Laïla ; 2/ Parallèlement, Mohammed Atta est supposé être devenu terroriste par frustration sexuelle, et il a désiré, lui, une femme du nom de Pamela Wiltshire. Pendant 400 pages donc, ces squelettiques Twin Towers de l’art narratif seront bombardées par un essaim de moucherons, – insipides digressions qui vrombissent ça et là, des enchaînements de termes sales, choquants pour la frime, aux pseudo-réflexions sur le monde arabe, cherchant gratuitement le scandale. Comment s’articulent ces intrigues ? L’une, puis l’autre. Brillant.

Moucheron après moucheron, l’idée que Moix puisse être écrivain s’écrase, négligeable et bourbeuse, infime de petitesse bruyante. Aux meilleurs moments, le style atteint le niveau de cette phrase p19 : «On s’était dirigés vers le bar, j’avais fait semblant, donnant mon ticket, de m’intéresser à la notion de whisky-coca en général.» Il y a au moins un embryon de figure. Parfois même, il y a de bonnes intentions : p21-22, l’auteur essaie de décrire un emmêlement de corps en fondant les registres sémantiques : «ils baisaient dans les lignes, les courbes, les lignes de crête, les lignes de niveau», etc. etc. ; mais rapidement, après avoir traversé deux demi-champs sémantiques, l’évocation s’arrête. Elle a plané à 10 cm.

Mais la plupart du temps ça rase la campagne comme par les soirs d’orage. Ainsi p33, parlant des femmes, sur l’idée de fin du romantisme : «Pendant des années, je les avais embrassées dans le cou, ou sur le genou, et voilà à présent que j’allais et venais dans leur côlon en les traitant de grosse pute(…) Il ne tient qu’à toi de les considérer comme de simples gésiers, d’abandonner les sorties « en amoureux » et de leur exploser la rondelle à la place» : libre à chacun d’adhérer à cette esthétique « lard pour lard », qui confirme qu’il fait vraiment très très lourd, les soirs d’orage, sous le pis des vaches à lait littéraires, par temps de colique.

Sans complexe depuis qu’il a surmonté son passé ingrat, l’auteur qui sait si bien introduire une description par un habile «Mais précisons la géographie des lieux» affiche, p318, son mépris pour la littérature : «Je ne travaille pas dans les précisions littéraires « pour faire vrai », « pour que ça fasse réaliste » : rien à foutre, rien à branler.» Ironie du sort, la littérature lui rend coup pour coup quand, p326, lancé dans l’écriture de « pastiches et mélanges » qu’il attribue à M. Atta, le scribe amateur de Partouz tente d’imiter Céline et aboutit à un ratage en règle – qui le conduit à s’en prendre, derechef, à «cet enculé de Joyce», sans qu’on voie d’autre pertinence à l’attaque que le surgissement d’un complexe d’infériorité mal géré.

La naz esbrouf pour cacher sa misère n’aura servi à rien et, malgré toute la passion qu’il met à baisser sa culotte pour distraire l’attention, il reste évident pour tout le monde qu’on n’écrit pas des livres quand on a le QI d’un slip.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *