Sur l’hypothèse d’un caractère « expérimental » de ma production

J’ai entendu dire ici et là, ou plus exactement presque partout, que les textes, que dans mon inconscience sauvage et bête je donne à lire ici même, avaient un caractère… et là, une série d’adjectifs, je cite de mémoire ou je donne des à-peu-près : bizarre, abstrait, expérimental, formel, baroque, XVIIIè siècle, étrange, de laboratoire, etc etc etc, tous mots qui dénotent une façon de me lire qui me laisse assez énormément reposer, étonné, sur mon postérieur, à même le sol, alors que l’instant d’avant (d’avant qu’on me caractérise) j’étais debout.

Moi, j’ai plutôt l’impression de faire du : repompé, imité, réintégré, classique, moderne, néo-romanesque, lyrique, rimbaldien, ducassien, yourcenarien.

Du coup, je vais citer mes sources, pour qu’on  » en finisse avec le jugement  » comme quoi je serais expérimental et difficile.

 

L’évangile, et les Prophètes, ça ça a entre 2 et 3 000 ans, et il ne faut pas oublier que j’ai ça dans mon petit sac littéraire porté en bandoulière à votre connaissance.

 

Michel Butor, Mobile : j’en ai souvent repris le procédé sériel – mener plusieurs fils en alternance, pour qu’ils s’enrichissent mutuellement. Cf, par exemple, New York : trois histoires montées en parallèles en relation avec trois couches de circuit électronique ; ou, deux chapitres dans Histoire du jeune homme sont ainsi composés.

 

Rimbaud, Saison en enfer, Illuminations, Déserts de l’amour, Proses évangéliques(vous faites souvent comme si vous ne connaissiez pas les deux derniers, pourquoi ?) : j’en reprend la phrase synthétique et condensatrice, de temps en temps ; et, les scènes narratives poétiques, comme suspendues.

 

Mallarmé, Igitur : j’y ai trouvé, comme dans Rimbaud, cette forme de récit non-romanesque, aérienne, philosophique sans concept, abstraite ; idem pour

 

Paul Valéry, Mr Teste, et pour

 

Antonin Artaud, Pèse-nerfs, L’art et la mort, Héliogabale.

 

Virginia Woolf, Les Vagues : j’en tire la composition par monologues intérieurs de Ils disent ; et souvent, pour écrire, je me rappelle de la densité sensuelle qu’elle charrie, pour me mettre à en charrier moi-même.

 

Philippe Sollers, Drame : le côté abstrait m’a énormément plu : un style tout de fusion, entre éléments narratifs, indications et autres, au statut flou (ni description, ni récit, ni monologue, ni dialogue).

 

Jim Morrison, Seigneurs et nouvelles créatures, Wilderness, et autres textes : j’ai cherché à en imiter l’image de grande qualité, surprenante, toujours très bien vue, touchante, vraie.

 

Platon, Dialogues : The Farm est une sorte d’inversion du dialogue socratique, où le philosophe-écrivain-roi se retourne contre lui-même et tout son monde littéraire.

 

Isidore Ducasse, Chants de Maldoror etPoésies : le style contourné, les périphrases permanentes, le récit hyper-dramatique, exagérateur, effaré

 

André Malraux et Chateaubriand : les drames moraux, le style granidloquent, l’éloquence d’Etat, et pour Malraux, l’espèce de « pré-mondialisation » qu’il y a dans sa production.

 

Alfred de Musset, Confession d’un enfant du siècle : les toutes premières pages sont d’une grande beauté, et donc… j’en ai copié le style, de temps en temps.

 

Marguerite Duras, plusieurs textes, dont par exemple Yeux bleus cheveux noirs ou Dix heures et demie du soir en été : le travail dans le tout petit, la phrase très courte, l’esprit très monomaniaque, obsédé.

 

Marguerite Yourcenar, Alexis ou le Traité du Vain Combat : le beau style classique, psychologisant, mené de main de maître, très dominateur, pour exprimer un humanisme très fragile.

 

Claude Simon, Tryptique, Les Géorgiques etc : j’y ai trouvé ces passages descriptifs très bien faits, la description narrativisée, la narration descriptivisée, et beaucoup d’autres « recettes à faire de bons bouquins ».

 

Moine Dôgen, La réserve visuelle des événements en leur justesse : de ce texte magnifique et INTEGRALEMENT INCOMPREHENSIBLE, MAIS INTEGRALEMENT BEAU, je tire l’idée que même si vous pigez que dalle, vous pouvez en rester sur le cul ; un système nerveux central, avec cervelle, reste cependant nécessaire.

 

J’ai par ailleurs trouvé des modèles somptueux dans un certain nombre de textes de littératures anciennes et étrangères, les lettres d’une religieuse portugaise, ou le traité nahuatl d’éducation d’une mère à sa fille et d’un père à son fils, les récits de voyage d’historiens médiévaux arabes, des épopées commeGilgamesh, Beowulf, Chanson de Roland, des écrits intimes (nikki) comme le Journal d’Izumi Shikibu et le Journal de Tôsa, et beaucoup d’autres encore.

En conséquence de l’énumération que vous venez de lire, on est d’accord, qu’il n’y a rien de nouveau dans ce que je fais ? Et que, donc, pas de frayeur à se faire en voyant dans une librairie la terrible couverture de Perfection : c’est lisible, c’est issu de ce que vous aimez, en gros, c’est de la littérature. Entre la poésie lyrique et le roman psychologique, il y a moi.

Mais au fait, dites-moi voir de qui s’inspirent ces écrivains que vous achetez, là, les Houellebecq, Angot, Darrieussecq ? Ils sont dans quelle tradition stylistique ou de composition eux ? Et au niveau des sources purement esthétiques, ils sont plutôt proches des lyriques, des prophétiques, des littératures ethniques, du Nouveau Roman ? Ou, plutôt proche du rayon fruits et légumes, pas loin du rayon charcuterie, chez Auchan ? C’est plutôt ça, non ? Je veux dire, votre librairie, est-ce que c’est plutôt Auchan, Carrefour, la Fnac, ou Leclerc ? J’ai pas l’impression qu’ils aient lu grand-chose, moi, ces gens, du moins ça ne se sent pas. D’où l’énorme manque d’intérêt quand je les lis ? L’impression qu’ils ne savent rien faire, ont un stylo bic, mais pas de moyens d’expression, et rien à dire non plus ?

Il va sans dire que je vous conseille chaudement tous les livres cités ci-dessus. Et également, que si vous en avez lu quelques uns, et aimé aucun, vous perdez votre temps, ici. Dans le cas contraire, signons un pacte d’amitié éternelle !

 

PS: il est à noter cette chose, pour moi surprenante: le cas de Dostoïevski. C’est, je crois, le seul auteur que j’admire énormément (c’est original) qui ne m’ait rien ou quasi-rien apporté sur le plan littéraire, du style, de la composition, du ton. Je le dévore en masse, il me stimule moralement et intellectuellement, mais ne m’inspire pas. C’est un peu la même chose avec Céline: impossible à copier, à part dans la frénésie lyrique.

Aussi, cette autre chose: c’est moi qui dit que les auteurs ci-dessus sont ma famille ; je ne les déclare pas garants pour autant de la qualité de mes textes. Moi, je les adopte, eux, peut-être qu’ils m’auraient envoyé… et mettez le verbe qui vous plaira.

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