Sur le sexe comme métaphore de la littérature

Quiconque existe, même sans avoir de grandes oreilles, fussent-elles celles des lapines de Play-boy, a déjà entendu, à la radio, à la télé, ou lu, dans un livre ou plus sûrement un magazine, des affirmations plus ou moins péremptoires et qui se voulaient plus ou moins inspirées telles : l’écriture célinienne est une éjaculation verbale, ou :  tel auteur fait l’amour à la page, ou à la phrase, ou aux mots comme on voudra, ou encore : écrire, c’est comme faire l’amour à une femme. On nous dit par ailleurs (du moins ces réductionnistes nous disent) que l’amour et la mort (ou, mettez le sexe, si vous préférez les versions brutales), sont lesdeux mamelles de l’art, qu’il n’est, dans les diversités culturelles, rien qui n’en soit une forme amoindrie, tributaire, secondaire ; et moi, je dis, que ces mamelles surboostées sont en silicone dans le meilleur des cas, et dans le pire : qu’elles sont atteintes d’une tumeur cancéreuse.

Je m’explique. L’enfant qui, mettons, admettons, assiste à la « scène primitive »… n’assiste pas à la scène primitive. Ou, si, mettons : il assiste à la scène primitive. Je m’explique : l’enfant qui assiste à la scène primitive, ou la rêve, et en rêve voit sa mère entreprendre des mouvements étranges avec le corps dévêtu de son père, cet enfant ne vit pas seulement du sexe (de même que, comme dit le proverbe, on ne vit pas seulement que de pain, pour dire : on vit aussi d’âme), mais vit également du rêve, de l’étonnement, du mouvement. Dans l’analyse plus ou moins psychanalytique, il y aura toujours… le côté mauvaisement analytique, qui, en effet… analyse… et en fait TRIE, sans dire qu’il a trié. Du spectacle réel ou supposé de deux corps parentaux (voire extra-conjugaux), je crois qu’on tire un peu trop vite le sens « ils font l’amour » ou, si l’on veut « ils baisent » : on oublie que quand je vois ces corps, beaucoup d’autres choses adviennent et se passent ; par exemple, que je suis, que je regarde, que je cligne des yeux (sinon la cornée sèche), qu’ils me plaisent ou me dégoûtent, ces parents alités ou debout, que je fais le lien ou non avec les animaux dans la même position, voire les plantes, le lierre et les roses trémières. La psychanalyse, vite appliquée, a oublié d’analyser le reste du « psycho », toutes les petites sensations ; du spectacle d’une scène primitive, que reste-t-il ? Est-ce vrai que c’est le souvenir d’un acte sexuel ? ou, que c’est le souvenir d’un spectacle ? Deux choses très différentes. Pourquoi privilégier l’une et faire l’impasse sur l’autre ? Et même dans le cas où, en effet, le contenu du spectacle vaudrait mieux, ou serait plus marquant, que le fait d’être spectateur, je ne vois pas bien ce qui justifie précisément le rapprochement entre une phrase et un acte sexuel, puisque, si je ne me trompe, l’un se fait avec des phrases (par le biais d’impulsions électriques données aux touches d’un clavier, qui les transmet à une unité centrale qui les traite et les envoie à un logiciel qui les traite etc ; ou par le biais de mouvements de la main prolongés par une pointe fine contenant de l’encre se déposant sur un support etc), et l’autre avec du corps. On me dira : on écrit avec ses tripes. Mais, alors, il faudra qu’on me montre les manuscrits écrits avec des tripes : des tripes d’homme ? une confession écrite avec le gros côlon ? un poème épique rédigé par quel boyau de chat, au moyen de quelle boueuse encre intestinale ? Je n’en connais pas d’exemple. Mais, suis-je bête, ce sont des métaphores. Oui, mais alors, je ne crois pas que ce soit la relation sexuelle qui soit à l’origine du processus qui, dans l’esprit, permet la métaphore. Donc, si l’on veut continuer à relier écriture et sexe, il va falloir me prouver que le sexe est non seulement à l’origine du contenu de l’écriture, mais aussi à la base du processus qui permet de concevoir ce contenu, et de le faire fonctionner. On pourra me dire que c’est la libido, et les affects inassouvis / refoulés, qui sont à l’origine du fonctionnement de l’esprit : par exemple, dans l’épisode de la bobine de fil du petit-fils de Freud (l’enfant s’amusait à faire disparaître et réapparaître cette bobine en tirant dessus), on peut imaginer que soit à l’œuvre un processus du genre : l’objet est dans le champ de vision, l’enfant le conçoit, puis suite à un mouvement du bras de l’enfant, la bobine disparaît, suite à un autre elle réapparaît, l’enfant s’aperçoit de la relation de cause à effet, et par ailleurs il identifie la bobine à un « objet interne », une représentation quelconque (par exemple, un excrément, un mort, une personne, un affect), et voilà pourquoi il joue : le jeu est bien libidinal, il met en scène des affects nés auparavant (des désirs de possession refoulés, des impressions agréables de défécation) etc. Et, je remarque que l’analyse peut tenir, mais cependant, qu’on ne m’a toujours pas dit comment et par quel mécanisme les objets sont ainsi agglomérés les uns aux autres par l’esprit et substitués, ni comment l’enfant s’est aperçu de la relation de cause à effet etc. Moi, je crois que d’une part Céline a écrit des phrases, avec un stylo ou une plume, et que d’autre part, à d’autres moments, il éjaculait ; que ce sont deux choses bien distinctes, écrire et jouir ; je crois que les tripes font un boulot, et les mots un autre, tout différent, aussi honorable ; et qu’on n’écrit pas pour faire l’amour à une femme, mais par exemple, pour faire face d’une certaine façon à un désir, peut-être sexuel mais pas forcément, ou pour mettre en jeu des mécanismes de l’esprit, des mécanismes… qu’il est agréable de mettre en jeu, par exemple : la répétition de morceaux de phrases ; je répète : par exemple, la répétition de morceaux de phrases. Et ceci n’est pas éjaculer, et pas non plus parent du fait d’éjaculer, qui n’est qu’une des formes du phénomène plus général de la répétition (ici, de contractions).

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