Qui suis-je? Un CV biobibliographique

Je suis le jeune homme et je n’ai pas de nom. En grande partie, et en majorité, je suis ce que j’écris. Avant 1996 par conséquent, je ne m’incarne pas.

– Décembre 1996: à Nancy, je pleure doucement devant une fenêtre: Huit proses tristes.

– Mars-avril 1997: Personnage de roman pour la première fois, avec quelques amis je fais sauter le monde, pour voir comment ça fait, dans un texte non ici présenté.

– Octobre 1997 – mars 1998: à Montpellier cette fois, j’ai la fièvre et je délire dans un texte surréaliste, Emilie Déception, non présenté.

– Janvier – février 1998: Je me « détriple » dansAnne et Louis: je suis Anne, je suis Louis, je suis le troisième homme; tandis que je passe de celui qui prive à celle qui dépérit, je trouve l’occasion d’incarner le temps, la pluie, et dans le sixième chapitre, les habitants d’une ville-fantôme. (Grande joie à faire cela ; plaisir considérable à gérer la concordance des temps dans ce texte et à en régler les modalisations.)

– Octobre 1998: Voyage au Japon avec Tandis qu’ils seraient sans parfum – pas besoin de compagnie de transport aérien, de toute façon ni Air-France ni la Panam ne mènent là où je vais: dans le Japon médiéval, dans le monde des « écrits du monde flottant » contemplatifs, bouddhistes et zen. Dans ma valise, je garde le souvenir d’immeubles, HLM, j’essaie de me rappeler si j’ai, ou non, assassiné le chat blanc. Joie aussi, à mêler les références les plus exotiques et anciennes aux plus contemporaines et autochtones, dans un même flux de conscience.

– Novembre – Décembre 1998: j’essaie, à partir d’une photo américaine montrant une fermière du Middle-west entourée de ses enfants, d’agiter un personnage, qui très vite, refuse tout mouvement; je m’énerve, et je deviens l’auteur qui détruit son roman – The Farm ; mais vous savez que l’auteur n’est pas moi, comme vous savez, n’est-ce pas, qui est le texte (« c’est vous le texte »).

– Février – Aout 1999 : Au printemps, me voici plus jeune, avec une mère, dans la ville littorale: je me baigne, je regarde un chien, je fume des clopes tranquillement dans la ville – et grâce à Perfection, je me sens plus libre.

– Juillet 1999: je me silicifie et je m’étends exactement sous New York, en trois couches ; dans ma vie du dessus, à la surface, je suis trois jeunes femmes victimes d’elles-mêmes; du bas des buildings, je regarde le « renard d’extrême-droite », perdu dans la cité, et qui la contemple sans haine.

– D’octobre 1999 à août 2000, pour le gros oeuvre, et jusqu’à maintenant pour la finition, j’opère une série de métamorphoses: je suis Empereur allemand en l’an Mil, Sultan mamlouk au XIVè siècle, je suis singe ivre de fruits fermentés, le tsar me fait pendre, je découvre le texte qui tue, je rentre dans ma maison du futur, je meurs dans une station spatiale. Cette Histoire du jeune homme… est sans doute le texte qui m’a le plus procuré de sensations – essayez de le faire dans votre vie de tous les jours, vous n’atteindrez pas un tel niveau de goût pour la diversité du monde, seul un texte le peut. Sans compter mes milliers d’heures de lectures, héritage passif que j’avais, et qui s’est tout à coup incarné dans cette autohétérobiographie polymorphe – la sensation pascalienne d’être « extrêmement justifié pour rien ».

– Septembre 2000, fait Christ, dans l’Evangile, je reviens mettre fin à la Révélation; l’idée me tenait depuis longtemps; j’ai mieux trouvé le ton après avoir vu sur Arte un documentaire sur Kinski, où il disait (ou plutôt hurlait), en spectacle « Ich bin nicht / der offiziel-Kirchen Jesus… », « je ne suis pas le Jésus de l’Eglise officiel, toléré par les banquiers et les industriels…. » ; à la fin, je reçois la plume de l’aile décatie d’un ange, les portes du paradis se ferment, et je / Jésus meurs / meurt sur terre.

– En décembre 2000, je me rappelle de Février – Aout 1999, cette fois je décentre le fils et suscite le point de vue du père: entre les 4 S, Stockholm Suède Syracuse Sicile, de part et d’autre de la ville littorale de Perfection, voici que dans Déférence je bâtis deux monuments: architecturalement, je construis des ruines, pour être digne; cinématographiquement, je filme la ville et le père ; entre temps, coups de fil, et tentative de coup de rasoir sur le cou paternel…

– En Février 2001, je réfléchis sur le fils et renoue physiquement avec le père, en devenant la mère, dans Clarté ; je mets les choses à plat, devant ma piscine, et je restaure mon intérieur. Mon esprit flanche un peu à partir de cette date, dans Apaisante et consolatrice, j’implore la mort de venir me prendre, dans quelques autres textes, non présentés, je rumine des idées noires, enfin, quant à aujourd’hui, je me remets tranquillement et je compte bien ajouter quelques mots au corpus déjà existant, qui en comprend, un peu plus un peu moins, environ 300 000 ; de quoi lire cet hiver, sous la glace du Nord.

 

Voilà en quoi consiste ma vie depuis 6 ans – depuis l’âge de raison.

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