Histoire des jeunes de mon village d’enfance

Note : j’ai écrit ce texte le 29 novembre 2014, suite à un séjour de 4 mois dans le village où j’ai en partie grandi. C’est un désert culturel et économique, une zone de non-droit comme on en trouve partout en France, et surtout un lieu où la jeunesse grandit dans la souffrance et la violence. Certaines zones du mal-être français – les « banlieues » – monopolisent l’attention. Il se passe pourtant exactement les mêmes genre de chose au fond de la campagne profonde, et là, il est bien clair que toutes les violences sont l’oeuvre de véritables « français de souche », il n’est pas du tout question d’immigration ou de déracinement dans notre contexte.

Je publie ce texte parce que :

  • Je pense qu’on doit savoir que ça se passe, là, en France, ces dernières décennies et maintenant.
  • Cela démontre la faillite totale de nos modèles sociaux – la famille, le capitalisme, la culture, l’Etat et ses institutions, tout cela a créé un milieu toxique et lamentable, dont on ne peut accuser personne d’autre que la famille, le capitalisme, la culture, l’Etat et ses institutions.

Alors que j’avais écrit le texte en mentionnant tous les prénoms, j’ai choisi d’anonymiser, pour protéger les victimes et les mineurs dont je parle, et aussi pour me protéger contre les possibles plaintes en diffamation (des violeurs et des fachos violents que je dénonce : l’un d’eux – qui prétend devenir gendarme au GIGN… – m’a récemment envoyé des menaces de mort).

HISTOIRE DES JEUNES DE […]

Enfant et ado j’ai passé toutes mes vacances scolaires chez mes grands-parents à […], 325 habitants, Haute-Marne 52, à la frontière avec les Vosges, 88.

J’y ai été lié aux autres jeunes du village, dont la plupart ont eu des vies dramatiques.

A., fils d’un routier violent et d’une monitrice d’auto-école qui s’étaient séparé, a été un gamin brillant et violent. Il a quitté le lycée 1 mois avant le bac alors qu’il avait de très bons résultats, mais c’était aussi un casseur bordélique qui aimait se castagner avec d’autres. Enfant battu, il aimait dire en rigolant qu’il adorait se prendre des pêches. Dans sa vingtaine en 2005 il conduisait tranquillement sur la route quand deux vieux ont déboité, en ligne droite, et lui sont rentrés dedans. Eux sont morts sur le coup, lui a fait un an d’hosto : le moteur lui était rentré dans le foie, il a eu les deux pieds broyés. Il a subi 14 opérations en un an, sous morphine en permanence, il a maintenant des plaques dans les joues et les pieds. Il a fait deux enfants avec une femme qui l’a quitté en deux ans, il les éduque très mal, est violent avec eux, je l’ai engueulé là-dessus. Il est devenu routier malgré son handicap à 60% qu’il a réduit à 40. Sorti d’hosto il s’est rué dans l’héroïne, y a passé 3 ans, failli en mourir, puis arrêté d’un coup. C’est un éternel casse-cou qui aime les jeux de risque, même avec une jambe dans le plâtre il sortait faire du motocross dans les bois près de […], et il a fait les championnats de France de tarot, aujourd’hui il passe ses loisirs dans des casinos à jouer au poker, auquel il initie son fils aîné.

B. a été un ado violent. Il tirait sur les chats de la scierie à la carabine. Il a forcé sexuellement sous mes yeux la fille avec qui je sortais, j’ai pas osé l’arrêter, ils avaient bu (volé des bouteilles de vin dans la cave de leurs parents). Plus tard il s’est grillé la tête au LSD et est devenu parano. Je l’ai recroisé récemment, il ne m’a pas reconnu je pense, je n’ai pas souhaité lui parler. J’étais à la pêche avec E. dans son étang.

C. était une ado rebelle et délurée, coiffée de manière punk. Je pense qu’elle a été violée vers 8-10 ans par ses frères et ses cousins, délinquants : voleurs notoires, qui commettaient des cambriolages dans le coin. Elle était bête et vulgaire, elle l’est toujours d’ailleurs.
Quand B. a plus ou moins violé ma copine (dont je n’étais pas amoureux) sous mes yeux dans la cabane de la scierie, C., qui sortait avec lui, a ensuite poursuivi ma copine en la traitant de pute et en lui crachant dessus.
Plus tard, C. est devenue assez nympho et a apparemment souvent choisi des types violents.
Elle s’est mise en couple avec un type et en a eu deux enfants, D. et E.. Ce type s’est barré, je connais pas les détails. Elle s’est ensuite mise en couple avec un autre type nommé F., ils ont eu un enfant nommé W.. (Je suis aussi devenu ami avec W., dernièrement. Il y a quelques jours il m’écrivait sur Facebook pour me dire qu’il a été viré 3 jours de son collège pour agression : il a fracassé le dos d’un autre gamin.)
Un jour, elle a trompé F.. Il est venu chez elle furax. Il l’a attachée sur une chaise et lui a versé du Destop sur le visage, le Destop est un produit acide, corrosif, son visage a été en grande partie brûlé, son oeil droit aussi. Il a été chercher un fusil, a menacé de la tuer, puis lui a tiré une balle dans la cuisse. W. m’a dit qu’il avait assisté à la scène, il a entendu le coup de feu, est venu dans la cuisine, a pris peur, a téléphoné à sa grand-mère qui a appelé les flics.
F. a été arrêté, incarcéré pour tentative de meurtre et torture, jugé au tribunal d’Epinal, condamné à 30 ans de réclusion criminelle.
Il s’est suicidé 5 ans après en prison, en se pendant avec son drap.

Je suis devenu ami avec E., 16 ans actuellement. Je l’ai rencontré un jour où je traînais avec les 3 enfants G., T. / U. / V., dont les parents ne s’occupent pas, qui ne font rien, s’ennuient à mort, m’ont trouvé sympa (je les ai emmenés cueillir des mirabelles, des poires, des pommes, des mûres, faire du jus avec ces fruits, se promener le long de la rivière, dans le bois voir les chevreuils, jouer au foot et au ping-pong) ; je me suis gardé de les faire entrer chez moi ou de me trouver seul avec eux, je suis resté dehors notamment pour éviter les médisances, sachant le reste de ce que je vais raconter, les cas de pédocriminalité avérée.
Je manquais de tabac et E. m’a offert spontanément le reste de son paquet. D’autres fois on a joué au foot ensemble. Après quelques semaines à faire connaissance de loin, on a fumé quelques joints ensemble. J’ai essayé d’aborder certains sujets mais il bloque totalement : notamment sa violence, ses insultes, sa méchanceté avec sa copine que je connais aussi (16 ans aussi ; violée par son premier copain).
E. m’a raconté qu’il a participé à 14 ans à des « jeux sexuels » ( = viols, évidemment) avec un gars du village, que je connais aussi, H. (ou est-ce son frère ?), un gars qui n’était pas dans la bande de jeunes où j’étais, car on les considérait lui et son frère comme des gros débiles, et avec une autre fille du village, K. 13 ans, elle aussi fille d’une famille que je connaissais (je ne sais pas de qui elle est la fille, mais son nom de famille est le même que celui de deux gars malsains et stupides qui étaient dans notre bande, qui étaient là aussi quand B. a violé ma copine). Je n’ai jamais rencontré K.. Les jeux sexuels étaient une forme de prostitution : le corrupteur offrait de l’argent ou des cadeaux en échange de nudité des gosses ou de branlettes.

I., un autre gars, a violé K. à 10, 11, 12 ou 13 ans, près de l’Eglise, dans le bâtiment qui, dans ma jeunesse, logeait le curé avec qui j’étais devenu ami (un curé respectueux et gentil, pas malsain).

Enfin, un gars dont je viens de parler, J., de la famille de K., sans doute son oncle, a, lui, violé un bébé d’1 an. Il est en prison à l’heure actuelle je crois.

L. a été mon ami d’enfance, on était en fait un groupe de 3, avec Q.. On avait nos propres loisirs, on se tenait à distance de la bande des délinquants, sauf vers 14-16 ans où on a souvent été avec eux. On allait à la pêche notamment, on jouait à divers jeux.
L. est le fils d’un couple malsain et violent, sa mère est la fille d’une ancienne esclave de ferme, et le père est un agriculteur qui maltraitait mon pote et lui hurlait tout le temps dessus, ça me saoulait, j’étais bien content de ne pas avoir de père.
L. a eu un grave accident de voiture lui aussi à 18 ans sur la route nationale qui traverse le village. Il a perdu 10 points de QI et souffre toujours de violentes douleurs dorsales, 15 ans après. Il est devenu gros fumeur de cannabis (beaucoup plus que moi, il se fumait plusieurs énormes joints d’herbe pure, moi quand je fume je fume très léger). On s’est revus en 2012, puis brouillés, parce que je lui ai fait plein de reproches, notamment sur sa violence.
La soeur de L., M., était la meilleure amie de ma soeur. M. aussi est devenue toxico, à l’héro. Plein de jeunes du village sont passés par la drogue, qui y est toujours – N., E., D., O., ont usé ou abusé d’alcool et de cannabis. W. fume des clopes à 12 ans. Les filles sont plus sages.
Les parents de L. et M. sont devenus famille d’accueil. C’est incroyable que l’Aide Sociale à l’Enfance ait accepté leur candidature, étant donnée leur ignoble incapacité à être de bons parents avec leurs propres enfants.
Ils ont accueilli un gamin de 7 ans, P.,que j’ai rencontré en 2012. P. était vendu par ses parents de Chaumont à des pédocriminels. Enculé tous les week-ends. Il était très sympa, d’allure très normale, sauf que quand il prend sa douche, il repeint les murs avec sa merde. Il s’est livré à des attouchements sur les deux enfants d’M., dont le conjoint/père a déserté très vite, toxico lui aussi. J’ai voulu parler à la mère de L. à propos de P. mais elle a refusé. je lui ai alors écrit une lettre que j’ai déposée dans leur boîte (car ils ne m’ont pas ouvert la porte), où je la menaçais de dire ce que je savais – que P. avait commis des attouchements qu’elle, la mère, n’avait pas déclarés à ses référents – aux autorités, ASE voire police. Après je suis parti et quand je suis revenu à […] 1 an plus tard, P. n’y était plus et cette famille avait cessé de faire de l’accueil. Pas de nouvelles de P.

Q. était le fils de deux gros cons, qui gèrent une usine de meubles à […]. Gros, QI très faible, dyslexique, mais gentil, il a été exploité par son père à l’usine dès 12 ans, sous menace de coups. Il a porté plainte contre son père en 2012 pour travail illégal, exploitation d’enfant, maltraitances etc. Il est venu me voir à Marseille en 2013 pour obtenir un témoignage que je lui ai rédigé sans problème. Je suis convaincu qu’il perdra son procès car il ne peut rien prouver.

R., aujourd’hui 12 ans, est un enfant battu, un de mes lointains cousins. Il est le fils d’un ex-gamin handicapé qui a très mal vécu son handicap, et qui est donc violent avec son fils. R., très touchant, très fragile, pleurniche facilement, se montre défaitiste au foot, est interdit de sortie la plupart du temps. Je l’ai rencontré la fois où j’ai rencontré T. U. et V., en 2012, j’allais me promener près du village et ils m’ont abordé : « monsieur, on peut venir avec vous ? » J’ai trouvé ça un peu cavalier mais je n’allais pas refuser ma compagnie à des enfants qui la demandaient. 10 minutes plus tard, U. m’avait proposé de voir sa culotte et R. m’avait aussitôt dit : « Tu sais mon père il me tape ». J’ai été ému par leur situation horrible, leur détresse, leur manque de référents positifs… Quelques mois plus tard j’avais quitté le village et je culpabilisais, je me disais : putain, j’ai laissé R. se faire battre, seul face à son père… Dois-je prévenir l’Aide Sociale ?? J’en ai parlé à une amie psychologue, qui n’a pas été de bon conseil. J’ai pris l’initiative de lui faire passer une lettre via ma grand-tante, où je lui proposais de me le dire, si son père le battait toujours, et où je suggérais que je pouvais prévenir la police pour le protéger. Ma lettre n’a jamais été transmise. En 2014 je l’ai revu, il était toujours aussi triste, j’ai joué au foot avec lui et d’autres gosses près de chez lui car il n’avait pas le droit de s’éloigner. je lui ai demandé s’il était toujours victime et il m’a dit que non.

S., 5 ans, est le fils de l’ex-meilleur ami de mon grand frère. Lui aussi est condamné à rester dans sa rue par ses parents, même en leur absence. Il traîne donc, enfermé dehors, à ne rien faire. Il est très gentil, intelligent (mais d’une intelligence normale je pense), confiant, doué pour le foot, obéissant dans le bon sens du terme (quand je lui donne un conseil stratégique, il m’écoute, ce que d’autres gamins n’arrivaient pas à faire, notamment R.). Une fois je l’ai emmené jouer au foot avec les autres gosses sur le seul terrain du village, après avoir demandé l’autorisation à son oncle et voisin, disant bien que je le ramènerais chez lui. Au retour, il s’est fait hurler dessus par sa mère qui rentrait alors qu’on avait atteint sa rue. ça m’a tellement dégoûté que je n’ai pas été voir sa mère pour lui expliquer que j’avais pris cette initiative. On avait juste joué au foot, à 6, avec T., V., E., N. et W..

N., 14 ans, est un gamin sympa, violent par certains côtés mais pas avec moi (alors que E. aime m’insulter, au point que j’ai dû menacer de le bloquer sur Facebook, après plusieurs rappels à l’ordre). Il a eu l’idée d’aller défoncer le crâne à une autre avec la matraque téléscopique. Il est le fils d’une alcoolique, séparée d’un père dont je ne sais rien. On a fumé quelques joints ensemble, je n’ai pas proposé ma beuh, juste partagé le moment en en profitant pour faire de la prévention, rappeler les risques médicaux et psychiques. On a beaucoup joué au ping-pong ensemble, il joue très bien. Il est drôle, spirituel même. Il se montre responsable avec les plus jeunes quand on joue, il en prend soin avec moi – d’autres, comme D. le frère de E. et demi-frère de W., brillant au foot, a failli casser la gueule à W. parce que celui-ci jouait mal – je me suis interposé.

D., 18 ans, est facho, raciste et misogyne, très ami avec deux autres qui sont de vraies ordures à l’idéologie très policière.

Voilà l’ambiance.

Quand j’essaye de faire quelque chose pour les surdouées X. ou U., j’espère que vous comprenez mieux ? J’essaye de les sortir de cet enfer rural, comparable en degré à la violence des quartiers Nord de Marseille. Et je sais qu’ils connaissent déjà beaucoup trop de choses – ou au moins qu’ils en ont entendu parler, sans pouvoir comprendre, souvent. Presque tout ce que je dis des viols récents m’a été raconté par E., T. (qui m’a beaucoup recherché comme père de substitution, au point que j’ai dû mettre de la distance tout en restant amical), W….

Voilà voilà. Moi aussi j’essaie de me sortir de là mais c’est pas facile. C’est pas facile de porter assistance à jeunesse en danger. Ne pas le faire serait un délit légal, le faire est surtout une obligation morale. Je sors d’une sorte de camp de concentration, pas moyen d’oublier que les autres y sont toujours enfermés. Mais que faire ? Je n’ai pas autorité pour forcer les parents à aimer et éduquer leurs enfants. Je n’ai pas autorité pour faire que la police et l’ASE – ces enflures – daignent faire leur boulot : faire respecter le droit, secourir les victimes. Tout ce que je peux faire c’est leur donner un peu d’éducation et d’amitié quand j’y suis, ou faire un reportage sur leur exécrable situation d’oubliés de la République française, dorénavant 6è puissance économique mondiale, quand je n’y suis pas.

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