Edition d’auteur 1 – Vive les livres moches, nuls et chers, je dis « vive les requins »

Edition d’auteur

1/ Vive les livres moches, nuls et chers, je dis « vive les requins »

Edition d’auteur 2 – Un attentat industriel : la prise de pouvoir du non-art
Edition d’auteur 3 – Les chaînes du livre
Edition d’auteur 4 – Le vent nous portera !
Edition d’auteur 5 – Problèmes résiduels
Edition d’auteur 6 – Hogarth Press II, édition d’auteur à comité de lecture participatif punk

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Note avant de commencer : On parle ici du livre littéraire et même plus précisément du livre de littérature contemporaine.

Maintenant : faites tourner les MP3 de rires enregistrés en fond sonore, ça commence.

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Un livre de littérature c’est quoi ?

On va tenter l’expérience suivante :

On prend n’importe quel livre de littérature et on liste ses aspects.

Qu’est-ce qu’on trouve ?

L’objet est constitué d’une couverture (A) et d’un ensemble de pages reliées (B).

 

(A) La couverture peut se décrire comme une série de 3 espaces distincts :
– La première de couv, portant des indications comme : le nom de l’auteur ; le titre du texte ; le nom de l’éditeur ; son logo ; le nom de la collection ; et pour certains livres, une illustration qui à la limite pourrait coller au texte.
– La tranche, portant en général nom d’auteur et titre du texte
– La 4è de couv portant, le cas échéant, une description du texte, un extrait, des informations sur l’auteur.

Apparemment, rien de surprenant ; quand on vit en union soviétique, être tabassé en pleine rue par le KGB ne constitue pas un événement. Quand on est habitué à manger des chips, on perd toute idée de gastronomie. Mais en réalité, là-dedans,presque rien n’est justifié.

Si on étudie la situation idéale, on notera la chose suivante : un livre, c’est normalement le corps et l’incarnation d’un texte. Du coup, est-ce que l’enjeu d’une couverture est de faire connaître le nom et la bio d’un auteur ? Non : car c’est de rendre visible un texte.

Est-ce qu’il s’agit de diffuser le nom d’un éditeur et son logo ? Non, car on n’est pas censé se situer dans une logique d’auto-promotion commerciale, mais au contraire faire preuve et oeuvre d’art.

Est-ce qu’il s’agit de plaquer des illustrations sur un texte qui n’a rien à voir avec elles ? De mettre une reproduction de Goya sur un texte du 20è siècle ? Non, car on a normalement des traditions d’illustration A PARTIR du texte et non SANS lui.

Eh bien c’est pourtant ça que Sa Majesté l’Edition grande ou petite vous fourgue.

 

(B) Prenons maintenant l’intérieur du livre. On y trouve certes le texte de l’auteur. Mais, on n’accède à ce texte que dans une mise en formefaite sans l’auteur et qui n’a la plupart du tempsrien à voir avec le texte. Typographie, mise en page, disposition des paragraphes et des chapitres, choix des papiers, tout est fait dans le mépris le plus absolu de l’esthétique propre du texte.

Si l’on considère l’origine de tous ces éléments, et que l’on cherche qui a l’initiative, on trouve que : la plupart du temps, l’auteur fournit le point 4, et seulement ce point. Le reste est d’initiative éditoriale. Si l’on raffine encore, on trouve que : l’auteur ne fournit PAS l’intégralité formelle de la partie «Contenu textuel»: il ne fournit qu’un «texte idéal», dont la mise en forme est d’initiative éditoriale. Un texte éditorial, une typo éditoriale, une mise en forme éditoriale, un graphisme couv éditorial – mais, où est passé l’auteur ? Un indice :pour trouver celui qui n’est plus auteur de grand-chose dans son propre livre, va voir du côté de la trappe, il doit être tombé dedans.

 

3 exemples de sagouinage

Le livre de M. Niàfaire aux éditions Nifait :

Minuit

Voilà une couverture parfaitement adéquate à… à… à rien de littéraire en fait… à tout d’industriel en réalité. La couverture formatée vous dit merde en bleu et blanc, en beige et rouge et noir, en… toutes les couleurs que vous ne voulez pas.

Le Coca-Cola éditorial publie le Père Noël en rouge et blanc et décore nos corps textuels avec ses vieilles peaux graphiques mortes.

 

Il est aussi amusant d’analyser deux couvertures esthétiquement très réussies :

Etrange, non, un tel mélange de beauté et de ratage? Parce que le lien entre le visuel et le texte est difficile à trouver (Candide est un texte de Voltaire à propos de… des montres molles de Dali? C’est ce qu’on lit sur cette couverture équivoque), et parce que, comme on voit: typo, format, gamme de couleurs, Voltaire et Apollinaire mangent au même râtelier, sont ramenés à du kif-kif graphique. Conclusion : Alcools et Candide sont deux titres d’un même texte, écrit pour Gallimard par le même pisseur de copie.

En illustration, on nous fourgue toujours un peu n’importe quoi : soit la couleur glauque du papier (POL, GALLIMARD, MINUIT pour les plus célèbres – mais les plus petites suivent bêtement), soit de jolis aplats de couleurs gaies complètement à côté de la plaque.

On voit bien que, dans le processus de fabrication d’une couv, l’éditeur met EN PREMIER sa signalétique, et occupe l’espace blanc avec des éléments graphiques qui n’ont que de lointains rapports avec le texte. Et le nom de ça c’est?

Ça a un nom, ça a un nom !

MEPRIS. Mépris matin midi et soir.

 

Une clause léonine des contrats d’édition

Pour être encore un peu plus drôle, l’édition a ses habitudes juridiques – intangibles. Quand on publie un livre, on signe un contrat ; et par une curieuse tradition, une des clauses de ce contrat, c’est la cession EXCLUSIVE et A VIE des droits d’exploitation. Ce n’est pas un point négociable. Quand le candidat-esclave demande à garder sa liberté, le maître-esclavagiste lui rit au nez. Il ACHETE le texte. Il interdit à l’auteur d’y toucher. C’est ça ou rien, ou publier c’est ça, la reddition sans condition. « Hey, mon garçon, c’est comme ça que ça se passe dans l’édition ».

 

Programme

On va donc voir que, publier un bouquin de littérature contemporaine chez un éditeur officiel, dans le truc nommé « édition », c’est :

– Aliéner son texte

– N’avoir aucun droit de regard sur la mise en forme du livre

– Et tout ça pour nourrir autrui en crevant de faim soi-même.

Des volontaires?

Mais… Dites, comment se fait-il que, euh… qu’on se soit fait virer de chez nous sans broncher ?? Quand quelqu’un habite 95 % de votre maison, on peut conclure que vous habitez plutôt un foyer d’hébergement, un squat, ou un dortoir salement carcéral (parce que dans l’économie du livre il est courant de se faire sodomiser dans la douche et taper au gant + savon).

Mais il faut maintenant en venir plus en détail à la question: Seigneur, comment est-ce qu’on s’est fait exproprier comme ça de la fabrication de nos livres???

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