Christine Orban – La mélancolie du dimanche – éditions Albin Michel

Une auteure, un dimanche, une auteure du dimanche

La mélancolie du dimanche
Christine Orban
Albin Michel
213 pages, 16 euros

Innovation dans le monde de la petite édition de qualité : Albin Michel publie le ROMAN D’AMOUR d’une femme éplorée ! Allez, on survole attentivement et on TAPE DANS LES MAINS !

Femme bafouée, bourreau des cœurs, champs de roses dilué dans un Atlantique de larmes, Christine Orban donne son 13è roman d’avant-garde. Le talent a encore pleuré !

Quand il découvre le titre du livre : La mélancolie du dimanche ; le titre du prologue : Dimanche ; la première phrase : Nous étions dimanche ; le titre de la première partie : « Les dimanches sont de longues nuits », disait ma grand-mère ; le titre du premier chapitre : Une lettre un dimanche ? ; puis quand il en a terminé avec cette hallucinante exposition, le lecteur le moins averti a déjà reniflé le grand style. Ses impressions vont vite se confirmer.

Prise de risque maximum, l’auteure a choisi de narrer ce roman au Je. Un Je donc, Je Je Je, très intéressant, un Je féminin, de femme qui s’ennuie devinez quel jour, ce Je trouve, dans un placard, une lettre. C’est la lettre de son ex-chéri, autrement dit son Jules. Et comment s’appelle-t-il cet homme, ce monstre qui la blessait, qui la faisait geindre par terre de douleur et de larmes ? Son prénom, à ce bourreau de son pauvre cœur rosé comme la… rosée…, son prénom, c’est Jules ! Oui ! Il fallait y penser ! Ni Rodolphe, ni Brahim, ni Sven, non, Jules ! Hé oui, comme dans 20 ans, Marie-Claire, Femme Actuelle, exactement le prénom du héros du test du mois « explorez la psyché torve du Don Juan qui vous fait souffrir, geindre etc ». Donc, la lettre de Jules en main, ce sont dix ans d’atroces souffrances qui remontent vriller le cerveau de la pauvre narratrice. Mais aujourd’hui, la madame est remariée, elle a fait des petits bébés, bref, elle a oublié. D’où, la lancinante question : Indiana (puisque c’est son romanesque nom), Indiana va-t-elle lire cette lettre qui lui a fait tant de mal ? Ou pas ? Réponse, 160 pages plus loin. Pour pousser l’innovation formelle à son insupportable apogée, l’auteure aurait pu laisser ces pages vides ; mais ç’eût été faire l’impasse trop complètement sur tout son incroyable chagrin. Dame ! Là-dessus, bingo, quand on tient un filon on l’exploite : on poussera l’aventure jusqu’à 213 pages.

Et pas n’importe quelles pages. Car, comme disait Céline, il faut tordre le bâton, pas question de représenter toute cette richesse narrative dans une langue trop commune. De fait, Christine Orban a opté pour des phrases de dix mots en moyenne. Eh oui, afin de rendre le souffle coupé de la madame-qui-pleure-parce-que-monsieur-n’est-pas-gentil il fallait, comment dire ? Briser le rythme ! Être violente, sauvage ! C’est fait : dix mots par phrase, et plutôt denses : La concierge avait glissé la lettre sous ma porte ou Rien n’est plus romantique qu’une promenade à Venise sous la brume. On admirera tout du long la force de cette vraie voix d’auteure, où s’entend même parfois jusqu’au doux roucoulement de la morve dans le fond du mouchoir en dentelle. Elle ose tout.

Artiste, mais aussi philosophe, Christine Orban, un peu comme dans L’essence n de l’amour de Kacem mais en beaucoup plus travaillé, disperse les résultats de son séminaire interne, fruit de la lutte, en elle, du… cœur et de la… raison… comme dans un revival postmoderniste du 17è siècle. Ainsi Indiana, fine connaisseuse du Blaise Pascal des Pensées et de la grand-mère de La Boum, pose les vraies questions : Le cerveau gouverne, pas le cœur. On ne le contredit pas. Pourquoi étais-je si sévère avec moi ? Pour me protéger, répond la raison. Mais c’est le cœur qui achèvera de gicler sur ces feuilles l’émouvante sauce-minute de sa littérature en sachet, et Indiana reverra Jules… Ouf !

C’est fini. Il ne faut pas se laisser emporter par l’enthousiasme : ce 13è roman n’est pas sans défauts. Trop vive, trop brillante, Christine Orban laisse parfois un peu le lecteur à la traîne de ses grandeurs et de ses finesses. Mais quoi, elle est jeune, elle est belle, elle progresse constamment, et tout laisse à penser qu’à l’avenir, elle amènera avec brio le catalogue déjà impressionnant d’Albin Michel vers la reconnaissance, la gloire, et la postérité. Christine, pour ton œuvre, merci ! Et à bientôt ! A lundi !

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